Lettre internationale – août-septembre 2021
La fin de l’été 2021 a été marquée par plusieurs débouchés dans des affaires judiciaires ou des scandales liés à l’intégrité publique et la transparence. Des rapports appellent à réformer l’encadrement du lobbying au Royaume-Uni et les standards éthiques à Malte, tandis que des enquêtes de comités d’éthique sont lancées à l’égard de parlementaires au Congrès américain.
Au niveau des institutions européennes, alors que le Parlement a voté le 16 septembre une résolution appelant à un renforcement de la transparence et de l’intégrité, par la création d’un organisme européen indépendant chargé des questions d’éthique, un président de chambre de la Cour des comptes européenne est accusé de détournement de fonds publics. La Commission a, quant à elle, demandé à la République tchèque de modifier l’encadrement des conflits d’intérêts dans l’attribution de financements européens.
Enfin, le lobbying est scruté tant par les ONG, qui montrent dans une étude le poids du secteur numérique sur les décideurs à Bruxelles, que par les États eux-mêmes, comme c’est le cas par exemple en Tunisie.
UNION EUROPÉENNE
Le Parlement européen a voté le 16 septembre une résolution dans laquelle il estime qu’un organisme européen indépendant unique chargé des questions d’éthique permettrait de mieux assurer la mise en œuvre cohérente et intégrale des normes éthiques dans l’ensemble des institutions de l’Union et appelle la Commission européenne à faire une proposition en ce sens. Cet organe indépendant aurait la faculté d’émettre des recommandations en matière d’éthique, y compris sur les conflits d’intérêts. Il pourrait aussi enquêter de son propre chef sur les mobilités public-privé des commissaires européens, eurodéputés, membres du personnel de l’UE et des institutions participantes, avant, pendant et après leurs mandats ou fonctions. Il aurait également un rôle préventif de sensibilisation et de conseil. Ce projet d’organe va désormais faire l’objet de négociations avec la Commission européenne et le Conseil. (Mediapart, 16 septembre 2021, EUObserver, 23 septembre 2021)
Selon une étude menée par les ONG LobbyControl et Corporate Europe Observatory, les géants du numérique investissent plus de 97 millions d’euros par an pour faire entendre leur voix au Parlement européen. Les données du registre de transparence de l’UE révèlent que le secteur du numérique a les dépenses de lobbying les plus élevées de l’UE, devant l’industrie pharmaceutique, les énergies fossiles, la finance ou les produits chimiques. Près d’un tiers de ces dépenses se concentre sur 10 grandes entreprises, dont, en tête, Google, Facebook et Microsoft. Selon l’étude, outre l’emploi direct de lobbyistes, ces entreprises ont recours à des réseaux de groupes de lobby et à des cabinets de conseil et d’avocats, et financent de nombreux think tanks et groupements. (Le temps, 01 septembre 2021, Reuters, 31 août 2021)
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt en assemblée plénière sanctionnant l’ancien président de la chambre III de la Cour des comptes européenne pour détournement de fonds publics. Le Belge Karel Pinxten est accusé d’avoir détourné plus de 470 000 euros durant ses deux mandats (mars 2006-avril 2018), selon l’Office antifraude de l’Union européenne (OLAF). La CJUE a prononcé une sanction consistant en la déchéance partielle, à hauteur des deux tiers, des droits à pension de retraite de Karel Pinxten. (Libération, 30 septembre 2021, The Guardian, 30 septembre 2021)
La Médiatrice européenne, les vingt-sept États membres et la Commission européenne ont signé une initiative sur la transparence le 23 septembre. Cet appel vise à prendre les mesures nécessaires (sans les détailler) pour que le processus décisionnel de l’Union européenne soit plus ouvert et à utiliser la Conférence sur le futur de l’Europe pour améliorer la transparence afin d’accroître la confiance des citoyens dans l’Union. (Contexte, 27 septembre 2021)
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a réfuté les accusations dont elle fait l’objet au sujet de pressions qu’elle aurait exercées lorsqu’elle était à la tête de la Banque mondiale. L’intéressée est accusée d’avoir cherché à manipuler un rapport en faveur de la Chine. Une enquête réalisée à la demande du comité d’éthique de la Banque Mondiale a conclu à des irrégularités dans la rédaction des éditions 2018 et 2020 du rapport « Doing Business », qui passe au crible le cadre règlementaire des pays pour savoir quels sont ceux qui sont le plus favorable à la création d’entreprises. Kristalina Georgieva aurait fait pression pour modifier la méthodologie du rapport. La direction de la Banque mondiale de l’époque a notamment été critiquée pour son manque d’intégrité par son ancien chef économiste, le prix Nobel d’économie Paul Romer. (Ouest France, 25 septembre 2021, Aljazeera, 24 septembre 2021)
La FIFA a suspendu de toute activité relative au football, pour un an, l’ancien président de la Confédération africaine (CAF). Issa Hayatou avait signé avec Lagardère Sports, en septembre 2016, un contrat contraire aux principes concurrentiels. Celui-ci garantissait à l’entreprise française la gestion des droits télé et marketing des compétitions organisées par la CAF jusqu’en 2028. La chambre d’instruction de la Commission d’éthique de la FIFA avait été saisie en mars 2017 par une entreprise concurrente de Lagardère, Presentation Sport. (L’Equipe, 3 août 2021)
ZONES GÉOGRAPHIQUES
ALLEMAGNE
Les députés allemands vont être soumis à davantage de transparence financière. Ces avancées font suite à une vague de scandales financiers impliquant des parlementaires allemands dans la gestion de la pandémie. La provenance des revenus perçus par les députés devrait ainsi être rendue plus transparente, mais les ONG craignent qu’en dépit de règles plus strictes, les procédures continuent d’être menées en interne au Bundestag, sans que le public ne soit informé. Au cours du mandat de l’actuel président du Bundestag, il n’y a eu qu’un seul cas de sanction pour mauvaise conduite. (Euronews, 17 septembre 2021)
AUTRICHE
L’ancien chef de l’extrême droite autrichienne a été condamné fin août à une peine de quinze mois de prison avec sursis dans le cadre de l’affaire de corruption liée à l’Ibizagate. Heinz-Christian Strache était soupçonné d’avoir favorisé un proche en échange de dons à son parti et de vacances tous frais payés. L’ancien chef du parti de la liberté avait notamment été filmé en caméra cachée à Ibiza en train de proposer des marchés publics à une femme se faisant passer pour la nièce d’un oligarque russe, en échange d’un soutien électoral. Il avait démissionné de ses fonctions de vice-chancelier d’Autriche et de président du parti lors de la révélation de ces faits. Il a depuis fait l’objet de nouvelles accusations de détournement de fonds de son propre parti. (France 24, 27 août 2021, Euronews, 27 août 2021)
MALTE
Le Commissaire aux normes de la vie publique de Malte a lancé une initiative visant à améliorer la transparence et l’intégrité publique. Soutenue par la direction générale des réformes structurelles de la Commission européenne, l’initiative fera appel à l’expertise de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le projet vise à restaurer et accroître les normes d’intégrité des détenteurs de charges publiques, membres du gouvernement et parlementaires inclus. La proposition du Commissaire George Hyzler de réviser le code d’éthique des parlementaires est pour l’heure bloquée au Parlement. (Times of Malta, 27 septembre 2021)
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
La Commission européenne a refusé d’octroyer un délai supplémentaire à la République tchèque pour réviser sa politique de lutte contre les conflits d’intérêts dans le cadre de l’octroi de subventions européennes. En août, l’exécutif européen avait menacé de suspendre le versement de fonds européens à certaines entreprises, en raison de conflits d’intérêts entourant le conglomérat Agrofert, fondé par le premier ministre tchèque Andrej Babiš. Un audit de la Commission avait conclu à une influence directe de ce dernier dans l’entreprise, alors qu’il participe aux décisions sur la distribution de financements européens. (Radio prague international, 21 septembre 2021)
ROYAUME-UNI
Des associations appellent le ministre du logement britannique Michael Gove à rembourser 100 000 livres de donations reçues d’un promoteur immobilier. Les registres parlementaires font état de deux donations du promoteur allemand Zak Gertler. Michael Gove est désormais en charge de la planification urbaine en Angleterre et doit notamment se prononcer sur une politique de son prédécesseur qui visait à donner plus de liberté aux promoteurs sur la localisation et la nature des constructions, afin d’accroître celles-ci. Le prédécesseur de Michael Gove avait lui-même fait l’objet de conflits d’intérêts impliquant des promoteurs immobiliers. (The Guardian, 16 septembre 2021)
Une enquête gouvernementale a été lancée sur le scandale Greensill, suite aux tentatives de lobbying conduites par l’ancien Premier ministre David Cameron en faveur d’une entreprise qui souhaitait obtenir un financement d’urgence lié à la pandémie. Le rapport d’enquête appelle à l’adoption d’un nouveau code de conduite et à une plus grande transparence sur les sources de financement du lobbying auprès du gouvernement. Une des pistes d’amélioration de la transparence du lobbying contenues dans ce rapport serait d’obliger les lobbyistes à déclarer leurs clients ou les personnes qui bénéficient in fine de leur activité. Les catégories de lobbyistes devant se déclarer au registre britannique devrait également être étendu, notamment les anciens hauts fonctionnaires et ministres, ainsi que les lobbyistes directement employés par des entreprises, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les entrées en communication immatérielles (SMS, appels), et non plus seulement physiques, devraient aussi faire l’objet de déclarations. Les règles sur les conflits d’intérêts, notamment concernant les reconversions professionnelles des anciens responsables publics, devraient enfin être renforcées. (The Guardian, 16 septembre 2021)
L’opposant russe et militant anticorruption Alexeï Navalny a publié depuis sa prison en Russie une tribune appelant à placer la corruption au cœur des sommets internationaux. M. Navalny propose cinq mesures pour lutter contre la cupidité des dirigeants autocrates : 1) définition de pays qui encouragent la corruption et adoption de sanctions identiques vis-à-vis de ces pays par l’Occident ; 2) transparence intégrale sur tous les contrats liant des entreprises occidentales à des pays encourageant la corruption ; 3) adoption de sanctions individuelles contre les dirigeants d’entreprises publiques ou privées soutenant la corruption ; 4) utilisation des outils existants contre la corruption étrangère (tel que le Foreign Corrupt Practices Act aux États-Unis) ; et 5) la création d’une commission internationale chargée de contrôler les reconversions professionnelles et les contrats liant des politiciens occidentaux en activité ou à la retraite à des pays autoritaires corrompus. (Le Monde, 21 août 2021, The Guardian, 19 août 2021)
Deux fonctionnaires de la réserve fédérale américaine ont annoncé leur départ prématuré après avoir investi sur les marchés financiers en 2020. Le président de la Fed à Dallas, Robert Kaplan, et le président de la Fed à Boston, Eric Rosengren, avaient vu leurs déclarations d’intérêts financiers révélées dans la presse. L’un d’eux détenait notamment des parts de sociétés d’investissement immobilier tout en ayant pris position publiquement sur les risques économiques qu’encourait le marché immobilier américain. Le président de la Fed, Jerome Powell, a annoncé un audit complet des règles d’éthique. (Le Monde, 28 septembre 2021, NPR, 27 septembre 2021)
Le comité d’éthique du Congrès américain a ouvert quatre enquêtes sur des représentants démocrate (Tom Malinowski) et républicains (Mike Kelly, Jim Hagedorn et Alex Mooney). Le bureau d’éthique du Congrès, qui, contrairement au comité d’éthique, n’a pas les pouvoirs de prendre de sanction vis-à-vis des représentants, avait conclu qu’il y avait des raisons suffisantes de suspecter des violations des règles éthiques. Un des représentants aurait ainsi dépensé plusieurs milliers de dollars de fonds de campagne en frais de bouche et vacances familiales et omis de déclarer des dépenses. L’épouse d’un autre représentant aurait acheté des actions dans l’acier alors que son mari soutenait activement le lancement d’une enquête sur les importations d’acier sous l’administration Trump. (RollCall, 7 septembre 2021)
MEXIQUE
Le référendum sur l’engagement de poursuites contre d’anciens présidents pour faits de corruption n’a pas attiré les électeurs. Seuls 7 % des 93 millions d’électeurs se sont déplacés aux urnes. L’initiative devait représenter l’un des moments forts de la campagne contre la corruption du président réformateur de centre gauche Andres Manuel Lopez Obrador. La tenue de ce référendum était toutefois critiquée de toute part, en raison de son instrumentalisation à des fins politiques. Le directeur pour les Amériques de l’ONG Human Rights Watch avait formulé des critiques sur la pertinence de ce référendum : les anciens présidents n’étant protégés par aucune immunité, le ministère public est en réalité libre d’engager des enquêtes à tout moment. (Le Monde, 2 août 2021, Bloomberg, 1er août 2021)
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a reconnu une corruption endémique sous la présidence de son prédécesseur Jacob Zuma. Témoignant devant la commission parlementaire qui enquête sur le détournement de fonds publics sous la présidence Zuma (2009-2018), l’intéressé a apporté des explications sur son propre maintien, à l’époque, au sein du gouvernement Zuma. Il dit avoir cherché à éviter le conflit avec M. Zuma pour ne pas être limogé, ce qui aurait considérablement limité sa capacité à réformer le pays. (Le Monde, 12 août 2021, Africanews, 11 août 2021)
La Banque centrale afghane a annoncé le 15 septembre avoir retrouvé 12,3 millions de dollars chez d’anciens membres du gouvernement, à l’heure où le pays, contrôlé depuis fin août par les talibans, fait face à une pénurie de liquidités. Les talibans auraient transféré l’ensemble des fonds à l’Etat, au nom de la transparence qu’ils revendiquent par opposition à l’ancien régime dont ils dénoncent le caractère corrompu. (La Presse, 15 septembre 2021, Reuters, 15 septembre 2021)
IRAK
L’Irak a annoncé la tenue d’une conférence internationale consacrée à la récupération des fonds pillés au cours des deux dernières décennies. Le président irakien Barham Salih avait déclaré en mai que 150 milliards de dollars avaient été transférés illégalement à l’étranger depuis 2003, à travers des pactes de corruption. Le secrétaire de la Ligue arabe, des ministres de la Justice, des présidents de conseils judiciaires et d’organes de contrôle de la région participent à cette conférence, organisée par la commission de l’intégrité publique irakienne. (Anadolu Agency, 14 septembre 2021, Asharq Al-awsat, 15 septembre 2021)
Les autorités tunisiennes ont procédé à des vérifications concernant un contrat de lobbying signé par le parti Ennahdha avec l’agence de communication Burson Cohn & Wolfe. L’objet de ce contrat est d’aider le parti Ennahdha à accéder à des acteurs clés aux Etats-Unis et de le conseiller sur sa communication stratégique et ses liens avec les médias. Ce contrat a été publié dans le cadre d’une obligation pour les lobbyistes américains de détailler leurs activités au profit de l’étranger. Ennahdha, principal parti parlementaire tunisien, se trouve actuellement écarté du pouvoir après la suspension de l’Assemblée tunisienne par le président Kaïs Saïed. (Mediapart, 6 août 2021)
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