La lettre internationale de la Haute Autorité – Novembre 2019
L’actualité internationale du mois de novembre est marquée par de nombreuses inculpations et condamnations de hauts responsables publics pour des actes de corruption, de fraude ou d’abus de confiance. Du premier ministre israélien au président des Etats-Unis, en passant par des dirigeants socialistes andalous, le besoin d’intégrité publique semble se traduire par la nécessité de sanctionner les atteintes à la probité de la part des dirigeants à tous les échelons.
Cependant, si des condamnations telles que celle de l’ancien président des Maldives à cinq ans de prison pour blanchiment d’argent illustrent la rigueur des sanctions infligées à certains dirigeants, la situation de nombreux pays rappelle que le combat pour la transparence de la vie publique est loin de toucher à sa fin. L’inquiétude de la communauté internationale face aux décisions de la Cour Suprême brésilienne ou la chute du gouvernement moldave pro-européen, soulignent les efforts qui restent à déployer pour les acteurs de l’intégrité publique et la nécessité d’un soutien populaire –illustré en Irak et en République Tchèque par des manifestations massives– pour porter cette culture de l’intégrité à tous les niveaux.
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
Par 461 voix « pour », 157 voix « contre » et 89 « abstentions », la Commission von der Leyen a reçu l’investiture du Parlement européen le mercredi 27 novembre. Le groupe des Verts n’a pas souhaité lui apporter son soutien, pointant de trop nombreuses contradictions au sein de la Commission. Les Verts maintiennent notamment que la présence de Thierry Breton, ex-PDG du groupe informatique Atos pendant 11 ans, à la tête d’un large secteur numérique pose en soi un problème de conflit d’intérêts. (Le Point, 27 novembre 2019) (France 24, 27 novembre 2019)
Pourtant, lors de son audition par le Parlement européen le 14 novembre, Thierry Breton a affirmé ne plus détenir aucun intérêt dans les entreprises qu’il a dirigées. Selon des documents de l’Autorité des marchés financiers, il aurait vendu ses actions pour un montant de 46 millions d’euros et démissionné de ses mandats d’administrateur. (Le Monde, 15 novembre 2019)
La question éthique au niveau européen a été abordée le 28 novembre par 24 ONG qui ont adressé une liste de demandes à Charles Michel, futur Président du Conseil européen. Les propositions incluent notamment un renforcement du Code de conduite du président du Conseil, un engagement à ne rencontrer que des lobbyistes inscrits au registre de transparence de l’Union européenne, ainsi qu’un encouragement à publier la liste de ces rencontres. Les signataires appellent aussi Charles Michel à prendre position sur le projet de création d’un « organe éthique indépendant » commun à toutes les institutions européennes. (Contexte, 28 novembre 2019) (Alter-EU, 28 novembre 2019)
Le nom du nouveau Médiateur européen sera connu après le vote des députés européens la semaine du 16 décembre. Sur les quatre candidats en lice, deux candidates semblent avoir une réelle chance de l’emporter. D’un côté Emily O’Reilly, l’actuelle Médiatrice européenne qui met en avant son expérience au sein de la fonction et les différentes enquêtes qu’elle a lancées ces dernières années. De l’autre, Julia Laffranque, magistrate estonienne à la Cour européenne des droits de l’Homme qui a reçu 90 parrainages d’élus pour se présenter à l’élection, contre 84 pour Emily O’Reilly. Les quatre prétendants seront auditionnés par les députés de la commission des pétitions le 3 décembre, pour détailler leurs ambitions respectives. (Contexte, 25 novembre 2019) (The Parliament Magazine, 21 novembre 2019)
Transparency International a demandé le 13 novembre aux membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de recommander la création d’un organe d’investigation indépendant chargé d’examiner de récentes accusations de corruption de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Le collectif de journalistes d’investigation a récemment publié un rapport qui mentionne le versement de paiements de la part d’un politicien ukrainien, Serhiy Lovochkin, vers le compte de hauts responsables européens. Transparency International appelle également à enquêter sur le cas du ministre des affaires étrangères turc, soupçonné d’avoir reçu de l’argent de Lovockin alors qu’il était président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. (OCCRP, 15 novembre 2019)
ZONES GÉOGRAPHIQUES
L’ancien ministre sud-africain de la Sécurité, Bongani Bongo, a été interpellé jeudi 21 novembre pour corruption. Il est accusé d’avoir tenté d’influencer un avocat de la commission d’enquête du Parlement sur l’entreprise publique Eskom en 2017. Proche de l’ancien président Jacob Zuma, il sera appelé à comparaître devant le tribunal le 31 janvier. Cette arrestation, inédite dans le pays, pourrait en annoncer d’autres. La procureure en charge des affaires de corruption au sein de l’État a affirmé avoir assez d’éléments avancés dans différentes enquêtes, ce qui indique que des personnalités haut placées pourraient être traduites en justice prochainement. C’était l’une des promesses de campagne majeures de l’actuel Président Cyril Ramaphosa. (RFI, 22 novembre 2019) (Times Live, 25 novembre 2019)
NAMIBIE
En Namibie, les élections générales ont eu lieu le 27 novembre, sur fond de récession et de corruption. Face à une opposition désunie, la victoire du président sortant Hage Geingob, 78 ans, semble assurée, en dépit d’un bilan des plus contrasté et notamment d’un scandale de corruption. Il y a quelques semaines, WikiLeaks a publié des milliers de documents qui accusent des responsables de son gouvernement d’avoir touché l’équivalent de 10 millions de dollars de pots-de-vin de la part d’une entreprise de pêche islandaise. Deux ministres mis en cause dans cette affaire ont été contraints de démissionner à quelques jours seulement du scrutin, et l’un d’eux a été brièvement détenu. (Le Monde, 27 novembre 2019) (VOA News, 27 novembre 2019)
Le procureur général Avichaï Mandelblit a décidé d’inculper le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour corruption, fraude et abus de confiance dans l’affaire Bezeq (ou « affaire 4000 »). Dans ce dossier, la justice soupçonne l’actuel Premier Ministre d’avoir accordé des faveurs gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des millions de dollars au patron de cette société de télécoms, en échange d’une couverture médiatique favorable d’un des médias du groupe, le site Walla. (France 24, 21 novembre 2019) (BBC, 21 novembre 2019)
IRAK
En Irak, deux députés ont été arrêtés pour corruption, suite à la levée de leur immunité parlementaire et sur ordre du Tribunal anticorruption. Depuis début octobre, l’Irak est le théâtre de manifestations de masse dénonçant les mauvaises conditions de vie et la persistance de la corruption. Ce mouvement de protestation, ainsi que l’appel au changement lancé le 29 novembre par le grand ayatollah Ali al Sistani, ont poussé le premier ministre Adel Abdoul Mahdi à annoncer sa démission au parlement le jour même. (Anadolu Agency, 26 novembre 2019) (Le Figaro, 29 novembre 2019)
La commission judiciaire de la Chambre des représentants des Etats-Unis a invité Donald Trump ou ses avocats à «participer» à une audition le 4 décembre, qui marquera l’ouverture d’une nouvelle phase de l’enquête en destitution ouverte à son encontre. Les démocrates reprochent à Donald Trump d’avoir demandé à l’Ukraine d’enquêter sur Joe Biden, un de ses adversaires potentiels à la présidentielle de 2020. Ils l’accusent d’avoir abusé de son pouvoir à des fins personnelles, notamment en gelant une aide militaire pour faire pression sur Kiev. Compte-tenu de la majorité démocrate à la chambre basse, Donald Trump devrait bien être mis en accusation, ce qui n’est arrivé qu’à deux autres présidents avant lui. Il sera ensuite jugé par le Sénat, où la majorité républicaine reste solidaire, ce qui devrait lui épargner d’être destitué. (Le Temps, 27 novembre 2019) (CNN, 27 novembre 2019)
BRESIL
Au Brésil, des organismes internationaux tels que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Groupe d’action financière (Gafi) s’inquiètent d’un possible retour en arrière dans la lutte contre la corruption. Le Gafi a fait part de son inquiétude à l’égard d’une décision d’un magistrat brésilien limitant l’échange d’informations entre la cellule de renseignement financier brésilienne et les autorités judiciaires. Le caractère vague de la nouvelle loi sur « l’abus d’autorité » des magistrats qui entrera en vigueur le mois prochain risque également selon l’OCDE de menacer la « capacité intégrale et l’indépendance des autorités judiciaires afin d’enquêter et de punir la corruption ». (Les Echos, 25 novembre 2019) (OCDE, 13 novembre 2019)
Des centaines de personnes ont manifesté lundi devant le siège du gouvernement kirghize pour demander aux autorités de donner suite à une affaire de blanchiment d’argent d’un montant de 700 millions de dollars impliquant d’anciens hauts responsables. Le rapport d’enquête de plusieurs médias locaux et internationaux affirmait qu’un groupe bien organisé passait depuis des années en contrebande des produits chinois au Kirghizistan, puis faisait transiter ses bénéfices hors du pays. (Reuters, 25 novembre 2019)
MALDIVES
L’ex-président des Maldives, Yameen Abdul Gayoom a été condamné à cinq ans de prison et 5 millions de dollars d’amende pour blanchiment d’argent. L’ancien président a été reconnu coupable d’avoir blanchi un million de dollars d’argent public pour son avantage personnel au cours de son mandat. Il avait laissé sa place l’an dernier au président actuel Ibrahim Mohamed Solih. (The New York Times, 28 novembre 2019)
Dix-neuf anciens dirigeants socialistes d’Andalousie, ancien fief historique du Parti socialiste espagnol (PSOE) au pouvoir en Espagne, ont été condamnés le 19 novembre dans l’un des plus importants scandales de corruption de ces dernières décennies dans le pays. Ces 19 anciens membres du gouvernement andalou ou de l’administration régionale ont été condamnés pour avoir attribué dans la plus totale opacité des centaines de millions d’euros issus d’un fonds destiné en principe à assister les salariés licenciés et les entreprises en difficulté. Des personnes ou des entreprises, parfois proches du PSOE et non concernées par des plans sociaux ou des difficultés économiques, ont notamment reçu des aides. (Le Point, 19 novembre 2019) (The Guardian, 19 novembre 2019)
MOLDAVIE
En Moldavie, le gouvernement pro-européen de Maïa Sandu, qui avait fait de la lutte contre la corruption et l’influence des oligarques sa priorité, a été censuré le 12 novembre. La tentative de réforme pour permettre au gouvernement de choisir le Procureur Général (plutôt que l’actuelle commission aux décisions « biaisées »), a provoqué une motion de censure de la part des socialistes, jusqu’ici membre de la coalition gouvernementale. Suite au vote, Ion Chicu, soutenu par les socialistes et les démocrates est arrivé à la tête d’un gouvernement pro-russe le 14 Novembre 2019. Un communiqué de l’Union européenne qualifie de « signal inquiétant » cette motion de censure. (Le Figaro, 12 novembre 2019) (Foreign Policy, 22 novembre 2019)
LETTONIE
Le directeur de la banque centrale de Lettonie, qui est poursuivi pour corruption, a comparu lundi devant la justice de son pays, ce qui est inédit pour un membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne. Ilmars Rimsevics, 54 ans, est soupçonné d’avoir accepté et en partie perçu la somme de 500 000 euros promise par deux actionnaires de la Trasta Komercbanka lorsque l’établissement était en danger, en échange de ses conseils dans le cadre d’une enquête de la Commission lettone des marchés financiers et des capitaux. Ilmars Rimsevics est passible d’une peine de prison ferme. (Challenges, 4 novembre 2019) (Reuters, 4 novembre 2019)
REPUBLIQUE TCHEQUE
Plus de 200 000 Tchèques ont investi samedi 16 novembre le centre de Prague pour demander le départ du premier ministre, le milliardaire Andrej Babis, à la veille du trentième anniversaire de la révolution de velours qui marque le renversement du régime communiste dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Andrej Babis est confronté à une série d’accusations de corruption et à une enquête de la Commission européenne sur un conflit d’intérêts possible autour de sa holding Agrofert regroupant différentes activités dans ses vastes exploitations agricoles, dans les médias et dans le secteur chimique. L’intéressé rejette ces allégations. (Le Monde, 16 novembre 2019) (Al Jazeera, 16 novembre 2019)
MALTE
Deux ans après l’assassinat de la blogueuse anti-corruption Daphne Caruana Galizia et soumis à une intense pression pour quitter ses fonctions, le premier ministre de Malte Joseph Muscat a annoncé le premier décembre sa démission le mois prochain. La famille de la journaliste, l’opposition et des mouvements civiques l’accusent d’être intervenu dans l’enquête, notamment pour protéger son chef de cabinet, Keith Schembri, que l’homme d’affaire Yorgen Fenech désignait comme le « vrai commanditaire » du meurtre. (TV5 Monde, 2 décembre 2019) (CNN, 2 décembre 2019)
- Partager l'article
- Partager sur Facebook
- Partager sur X (ex-Twitter)
- Partager sur Linkedin
- Copier le lien