La lettre internationale de la Haute Autorité – Mai 2020
Alors que la propagation du COVID-19 semble marquer le pas dans certaines régions du monde, la découverte de cas de violation de l’intégrité publique dans ce contexte de crise sanitaire mondiale est en augmentation. Le mois de mai apporte son lot de révélations, de l’arrestation du ministre bolivien de la santé dans une affaire de détournement de fonds publics lors d’achat de respirateurs, aux défaillances de l’administration tunisienne menant à l’achat de masques à un député.
Cependant, si la crise sanitaire a pendant longtemps semblé occulter les autres sujets au niveau international, l’exemple européen montre que la transparence est à nouveau une priorité : la réouverture des négociations sur le registre de transparence de l’Union Européenne, le projet de lignes directrices sur l’utilisation de sponsors privés par les présidences tournantes ou encore l’enquête de la Médiatrice européenne concluant que l’Autorité bancaire européenne n’aurait pas dû autoriser son ancien directeur exécutif à rejoindre une association de marchés financiers, sont autant de signaux positifs dans la construction d’une Europe plus éthique.
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
Après le Conseil de l’Europe et le Groupe d’action financière, l’OCDE a publié ses recommandations pour renforcer l’intégrité publique face à la crise du COVID-19. Le document passe en revue les principaux risques liés au contexte sanitaire (corruption, fraudes, surfacturation, dérogations aux procédures d’achats publics…) et propose des mesures à court et à long terme pour faire face à ces risques, en mettant l’accent notamment sur les stratégies d’approvisionnement, les ressources allouées aux fonctions d’audit interne et les stratégies d’intégrité dans les organisations publiques. (OCDE, 19 avril 2020)
La transparence des institutions européennes reste un sujet majeur malgré l’attention portée à la crise du COVID-19. Selon le média Contexte, les négociations sur le registre des lobbys doivent reprendre le 16 juin, date qui est envisagée par les négociateurs du Parlement européen, de la Commission et du Conseil. Ces négociations, qui visent à étendre aux présidences tournantes du Conseil l’obligation de ne rencontrer que des lobbyistes inscrits au registre, s’étaient interrompues en 2019 après avoir longtemps stagné. (Contexte, 29 mai 2020)
Conseil de l’Union Européenne
Le Conseil va rédiger des lignes directrices sur l’utilisation de sponsors privés par les présidences tournantes, suite aux nombreuses critiques qui avaient notamment visées la Croatie, au sujet des entreprises qui versent de l’argent ou offrent des services aux États au moment de leur présidence du Conseil de l’UE. Les 27 ambassadeurs auprès de l’UE ont trouvé un accord début mai pour insérer un texte spécifique sur cette question dans le manuel distribué à chaque capitale en amont de sa présidence. Contrairement à ce que proposait initialement la médiatrice de l’UE, les recommandations formulées ne sont pas contraignantes. La France, l’Espagne et la République tchèque restent toutefois réticentes : Paris, en particulier, a précisé que le choix de prendre ou non un sponsor relevait de chaque capitale. (Contexte, 5 mai 2020) (EuObserver, 29 mai 2020)
Médiatrice européenne
Suite à une enquête fondée sur une plainte, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a constaté que l’Autorité bancaire européenne (ABE) n’aurait pas dû autoriser son ancien directeur exécutif à devenir PDG de l’Association des marchés financiers en Europe (AFME). La Médiatrice a également constaté que l’ABE n’a pas immédiatement mis en place des mesures internes suffisantes pour protéger ses informations confidentielles lorsque s’est avéré le changement de poste prévu. Pour la médiatrice, « Cette affaire impliquait le directeur exécutif d’une agence de l’UE, qui, chargé d’élaborer des règles pour réglementer et superviser les banques européennes, est allé travailler pour un groupe de pression de gros marchés financiers. Ce groupe souhaite bien évidemment influencer la rédaction de ces règles en faveur de ses membres. Si ce changement de poste ne justifiait pas l’utilisation de l’option légale – prévue par le droit de l’UE – d’interdire à quelqu’un de prendre une telle fonction, alors aucun changement de poste ne le justifierait ». (Médiateur Européen, 11 mai 2020)
Un « Groupe d’employés inquiets de la Banque Africaine de Développement (BAD) » a affirmé que son président, Akinwunmi Adesina, avait utilisé les ressources de la banque pour sa propre promotion et son profit personnel. Il est également accusé d’avoir versé des indemnités de licenciement disproportionnées à des membres du personnel ayant quitté la BAD dans des conditions suspectes, en favorisant ses compatriotes nigérians. Ces accusations font l’objet de vifs débats. Alors que le comité d’éthique de l’institution a mené une enquête et déclaré que M. Adesina était « totalement exonéré de toutes les allégations portées contre lui », le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a de son côté signé une lettre au conseil d’administration rejetant les conclusions de cette enquête interne. (Le Monde, 9 mai 2020) (BBC, 30 mai 2020)
ZONES GEOGRAPHIQUES
Après une mission d’enquête, les membres de la commission du contrôle budgétaire du Parlement Européen ont exigé dans un communiqué le 5 mai que le Premier ministre tchèque Andrej Babis « renonce à participer aux négociations budgétaires au Conseil européen jusqu’à ce que son possible conflit d’intérêts soit entièrement résolu ». Selon le communiqué, « Un Premier ministre ou un membre d’un gouvernement ne peut pas être un bénéficiaire effectif d’un grand conglomérat tel que le groupe Agrofert et en même temps recevoir d’importantes subventions de l’UE tout en étant impliqué dans la programmation et le financement des subventions concernées. » Si le conflit d’intérêts était avéré, « il devrait le résoudre soit en vendant ses intérêts commerciaux, en cessant de recevoir des subventions publiques, ou en démissionnant en tant que Premier ministre ». (Europarl, 5 mai 2020)
Vatican
Le Vatican se dote d’un code unique pour la gestion des contrats et des marchés publics. Cette législation détaillée reprend la Convention des Nations Unies contre la corruption signée à Mérida et remplace les règlements précédents déjà en vigueur, en s’étendant également à tous les organismes du Saint-Siège qui, jusqu’à présent, ne disposaient pas de leur propre législation en matière de contrats et de marchés. Des mesures sont prises contre les conflits d’intérêts, la concurrence illégale et la corruption, afin d’éviter « toute distorsion de la concurrence et d’assurer l’égalité de traitement de tous les opérateurs économiques ». (Vatican News, 1er juin 2020) (Al Jazeera, 1er juin 2020)
Ukraine
Marin Mrčela, président du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe, a écrit à l’Ukraine pour demander aux autorités de garantir l’indépendance opérationnelle du Bureau national anti-corruption d’Ukraine (NABU). Le projet de loi qui propose des amendements à la législation sur le NABU, concernant notamment les motifs de révocation du Chef du Bureau, suscite des inquiétudes pour le GRECO. L’institution rappelle que le NABU doit être protégé de toute influence ou pression inappropriée pour garantir son indépendance opérationnelle, et répondre pleinement aux exigences des recommandations du GRECO. (COE, 6 mai 2020)
En Tunisie, le coronavirus a révélé certaines défaillances de l’administration. Un contrat a notamment été octroyé à la hâte à un homme d’affaires également député pour produire deux millions de masques, un conflit d’intérêts caractérisé dénoncé par le Parlement. De même, des difficultés d’approvisionnement en blé ont été causées entre autres par le favoritisme dû aux liens entre des cartels bien installés et l’administration, et par des détournements de marchandises approvisionnant ensuite le marché noir. (Le Monde, 15 mai 2020) (Arab Reform Initiative, 22 mai 2020)
Arabie Saoudite
L’Arabie saoudite a porté aux tribunaux au total 117 affaires de corruption administrative et financière contre ceux qui ont tenté d’exploiter des institutions gouvernementales au cours du dernier mois dans le contexte de crise sanitaire. L’Autorité de contrôle et de lutte contre la corruption (Nazaha) du royaume a découvert des faits de corruption et des accords clandestins conclus par des responsables gouvernementaux qui ont enfreint les lois actuelles des autorités sur la lutte contre la propagation du virus. Certains membres du personnel du ministère saoudien de la Santé ont notamment touché des pots-de -vin pour louer des hôtels destinés à l’hébergement des personnes en quarantaine. (Middle East Monitor, 19 mai 2020)
République démocratique du Congo
En République démocratique du Congo (RDC), malgré les recommandations du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), des députés, attachés de presse et membres de cabinets politiques continuent d’exercer en parallèle le métier de journaliste. Le CSAC appelle ses confrères et leurs médias à faire preuve de responsabilité, dans un contexte ou l’engagement politique met en cause l’impartialité et l’indépendance de nombreux journalistes dans le pays. (RFI, 10 mai 2020) (Teller Report, 10 mai 2020)
Le ministre bolivien de la Santé, Marcelo Navajas, soupçonné de corruption lors de l’achat de respirateurs pour malades du Covid-19, a été arrêté le 20 mai. Les cinq millions de dollars alloués au pays par la Banque interaméricaine de développement ont financé l’achat de 170 respirateurs pour un prix unitaire de 27 683 dollars à une entreprise espagnole. Cependant, la différence entre le prix d’achat à un intermédiaire et le prix normal pratiqué par l’entreprise espagnole (entre 10 312 et 11 941 dollars) a suscité l’indignation de l’opinion publique ainsi que des soupçons d’enrichissement personnel. Le scandale a éclaté lorsque des médecins se sont plaints que les appareils n’étaient pas adaptés aux services de réanimation des hôpitaux boliviens. (L’Express, 20 mai 2020) (Reuters, 20 mai 2020)
En Australie, le chef de la commission du gouvernement Morrison chargé de proposer des plans pour revitaliser l’économie après la crise du COVID-19, Nev Power, a dû renoncer à son rôle de vice-président d’une société gazière en raison de problèmes de conflit d’intérêts.
Cette décision est intervenue suite à une question du journal The Guardian Australia à la commission sur la manière dont Power gérait son apparent conflit d’intérêts en tant que président de la commission et vice-président de Strike Energy, une société de l’Australie-Occidentale qui développe un gisement de gaz dans le sud-ouest de l’État. Les suspicions sont notamment alimentées par le fait que la commission a fortement promu le développement du gaz comme un moyen clé pour stimuler la croissance économique après la crise du COVID-19. (The Guardian Australia, 23 mai 2020)
Papouasie-Nouvelle-Guinée
L’ancien Premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Peter O’Neill, a été arrêté samedi 23 mai à Port Moresby. Accusé de corruption, il doit répondre aux enquêteurs concernant l’achat de deux générateurs d’électricité auprès d’une compagnie israélienne, pour plus de 13 millions d’euros, qui aurait été conclu sans appel d’offre, ni accord du Parlement lorsqu’il était au pouvoir. Cette affaire qui date de 2013 vient s’ajouter à une longue liste d’autres dossiers de malversation et de corruption présumée, toutes niées par l’intéressé. En 2011, dès son arrivée au pouvoir, O’Neill avait provoqué le scandale suite à l’achat de 40 Maserati pour un sommet Asie Pacifique qu’il accueillait, alors que la majorité de la population n’a pas d’accès à l’électricité. (RFI, 24 mai 2020) (The Guardian, 24 mai 2020)
- Partager l'article
- Partager sur Facebook
- Partager sur X (ex-Twitter)
- Partager sur Linkedin
- Copier le lien