La lettre internationale de la Haute Autorité – Janvier 2020
L’année 2020 commence avec la publication de l’Indice de perception de la corruption 2019 par Transparency International. Malgré les écueils inhérents à l’agrégation d’enquêtes de perception, qui ne peuvent se substituer à une véritable analyse qualitative, l’indice suggère qu’un nombre important de pays ne montre que peu ou pas de signes d’amélioration dans la lutte contre la corruption. Ce constat, s’il peut paraître décourageant, ne peut faire oublier les efforts considérables déployés par les acteurs de la prévention de la corruption. L’enquête du New York Times qui dévoile un mécanisme de fraude massive à la politique agricole commune de l’Union européenne, les révélations du Consortium international des journalistes d’investigation sur les malversations financières d’Isabel Dos Santos, ou encore le travail de la commission de lutte contre la corruption de la Malaisie faisant la lumière sur le scandale 1MDB nous montrent comment le dévouement d’enquêteurs, de journalistes et d’agents publics contribue chaque jour au combat pour plus d’éthique et de déontologie. Cette vigilance de la société civile est particulièrement importante dans des pays où la lutte contre la corruption est parfois instrumentalisée, que ce soit comme promesse de campagne au Guatemala ou comme moyen de purger le pays politiquement en Chine. En janvier comme souvent par le passé, l’actualité nous rappelle la nécessité de renforcer des contre-pouvoirs indépendants garantissant l’intégrité de la vie publique.
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
L’Autorité bancaire européenne (EBA) a désigné l’Irlandais Gerry Cross comme prochain directeur exécutif, mais le Parlement européen a retoqué en commission le candidat en raison de son passé au sein de l’Association européenne des marchés financiers (Afme). Cette décision, qui doit encore être confirmée en session plénière dans les semaines à venir, met de nouveau en lumière le problème du pantouflage. En effet, l’EBA avait récemment autorisé son ancien directeur exécutif, Adam Farkas, à rejoindre l’Afme. Cette décision avait déclenché la colère des parlementaires ainsi que les critiques d’ONG comme Finance Watch et Corporate Europe Observatory. (Les Echos, 23 janvier 2020) (Bloomberg, 23 janvier 2020
Une enquête du New York Times conduite dans neuf pays montre qu’une large partie des 65 milliards d’euros annuels de la politique agricole commune (PAC) destinés aux agriculteurs était détournée au profit d’oligarques des pays de l’Est. L’enquête a également montré qu’une véritable mafia agricole prospérait dans ces pays, grâce à un système de corruption, y compris au plus haut niveau de l’État. Face à ce phénomène, le nouveau Commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski a promis le 23 janvier des mesures anticorruption. (Slate, 17 janvier 2020) (New York Times, 23 janvier 2020)
Le 23 janvier, Transparency International publiait son Indice de Perception de la Corruption 2019 (IPC), qui révèle qu’un nombre important de pays ne montrent que peu ou pas de signes d’amélioration dans la lutte contre la corruption. Le Danemark, la Nouvelle-Zélande et la Finlande sont en tête, alors que la Somalie, le Soudan du Sud et la Syrie occupent les trois dernières places du classement. L’analyse de Transparency International suggère également que la réduction de l’influence de l’argent en politique et la promotion de processus de prise de décision inclusifs sont essentielles pour lutter contre la corruption. (Transparency International, 23 janvier 2020) (Transparency International, 23 janvier 2020)
ZONES GEOGRAPHIQUES
Une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) publiée le 19 janvier a montré comment Isabel Dos Santos, la fille de l’ancien président angolais, a détourné un milliard d’euros de fonds publics issus d’entreprises angolaises. Ce scandale a également démontré comment une constellation de cabinets d’audit, d’avocats ou de conseil ont pu parfois fermer les yeux sur l’origine douteuse de la fortune de leur cliente Isabel dos Santos, en particulier les « Big Four », les quatre plus grands cabinets comptables du monde. Le 20 janvier, la justice angolaise a averti qu’elle utiliserait « tous les moyens » pour ramener Isabel dos Santos dans le pays. La milliardaire vivrait actuellement entre Londres, Dubaï et le Portugal. (RTL, 23 janvier 2020) (RFI, 22 janvier 2020)
OUGANDA
Deux hauts responsables du gouvernement ougandais ont été inculpés à la mi-janvier pour blanchiment d’argent, corruption et abus de pouvoir dans l’attribution de contrats dans des camps de réfugiés. Robert Baryamwesigwa et Fred Kiwanuka, tous deux à l’époque commandants au camp de réfugiés de Bidi-Bidi dans le nord du pays, auraient exigé et reçu des pots-de-vin à hauteur de 393 millions de shillings ougandais (environ 100 000 euros) entre 2016 et 2017. En 2019, le Royaume-Uni et l’Allemagne avaient retiré leur aide aux opérations de réinstallation de réfugiés en Ouganda à la suite de malversations découvertes par un audit interne de l’ONU. (The Guardian, 17 janvier 2020)
Une heure avant le début d’une session parlementaire chargée d’étudier la demande d’immunité du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu a indiqué mardi 28 janvier qu’il renonçait à cette requête. Le Premier ministre a été inculpé en novembre 2019 pour corruption, malversation et abus de confiance dans trois affaires. Il avait demandé début janvier au Parlement (Knesset) de lui accorder une immunité au terme des prochaines législatives du 2 mars, misant sur sa victoire pour se protéger de la justice. Il ne dispose cependant pas actuellement d’une majorité de soutiens à la Knesset et les partis d’opposition avaient convaincu une majorité de députés d’examiner sa demande d’immunité avant les élections. Les procédures judiciaires contre M. Netanyahu pourraient désormais s’accélérer, et un procès débuter avant même les législatives du 2 mars. (France 24, 28 janvier 2020) (BBC, 28 janvier 2020)
EGYPTE
Le chef de l’administration fiscale égyptienne, Abdul Azim Hussein, a été arrêté pour avoir reçu des pots-de-vin le samedi 4 janvier. Il aurait reçu des pots-de-vin de certains comptables agréés qui traitaient avec l’administration fiscale. Les autorités égyptiennes ont fait des efforts notables ces dernières années pour améliorer la collecte des impôts, réduire l’évasion fiscale et lancer des campagnes publiques pour encourager les contribuables à se mettre en règle. Plusieurs hauts responsables ont été arrêtés sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi ces cinq dernières années pour des faits de corruption, et l’Égypte a progressé de 12 places dans l’indice de corruption de Transparency International en 2018, atteignant la 105ème position sur 180 pays. (Reuters, 4 janvier 2020)
La cheffe de l’opposition péruvienne Keiko Fujimori a été arrêtée mardi, la justice ayant ordonné son retour en prison dans l’affaire de corruption Odebrecht. La décision de la justice péruvienne d’incarcérer à nouveau Mme Fujimori porte un nouveau coup à la principale force politique du pays. La cheffe de l’opposition fujimoriste est poursuivie dans l’enquête sur le scandale Odebrecht, du nom d’un géant brésilien du bâtiment. Ce dernier a reconnu avoir versé des pots-de-vin à de nombreux dirigeants politiques latino-américains, dont quatre anciens présidents péruviens. (RTBF, 29 janvier 2020) (BBC, 29 janvier 2020)
GUATEMALA
Alejandro Giammattei est entré en fonction mardi soir comme président du Guatemala après son élection sur la promesse de combattre la corruption qui empoisonne le pays. Le prédécesseur de M. Giammattei, Jimmy Morales, une personnalité du monde du spectacle et de la télévision sans expérience politique, avait été élu lui aussi sur la promesse d’une lutte sans merci contre la corruption. Impliqué dans des affaires troubles, et notamment soupçonné de financement illégal de sa campagne électorale victorieuse, Jimmy Morales a mis fin l’année dernière à la mission de la CICIG, une commission des Nations Unies destinée à lutter contre la corruption. Les opposants de M. Giammattei lui reprochent de ne pas vouloir le retour des experts de l’ONU, et estiment qu’il enlève ainsi toute crédibilité à sa promesse de lutter contre la corruption. (AFP, 15 janvier 2020) (Al Jazeera, 16 janvier 2020)
L’ancien Premier ministre malais, Najib Razak, aurait demandé le soutien des Emirats Arabes Unis pour couvrir et blanchir un détournement d’argent de plusieurs milliards de dollars pour le compte de sa société 1MDB. La Commission de lutte contre la corruption de la Malaisie a révélé l’existence d’enregistrements audio datant de 2016 entre Razak et Mohamed ben Zayed (MBZ), le prince héritier et homme fort de la confédération émiratie, afin de trouver une solution et de l’aide. 42 charges sont aujourd’hui retenues contre Razak par la Malaisie. (Marianne, 15 janvier 2020) (Al Jazeera, 8 janvier 2020)
CHINE
Meng Hongwei, ancien président chinois d’Interpol, qui s’était brusquement volatilisé en 2018 du siège de l’organisation internationale policière basée à Lyon (France), a été condamné à 13 ans et six mois de prison pour corruption, a indiqué le 21 janvier la justice. Ancien vice-ministre chinois de la Sécurité publique, il est l’un des nombreux hauts dirigeants communistes à succomber à la campagne anti-corruption lancée en 2013 par le président Xi Jinping peu après son arrivée au pouvoir, qui a déjà sanctionné au moins 1,5 million de cadres du Parti Communiste chinois, selon des chiffres officiels. Très populaire auprès d’une opinion publique lassée des malversations, cette opération « mains propres » est également soupçonnée de servir à faire tomber des opposants internes à la ligne du chef de l’Etat chinois. L’épouse de Meng Hongwei ainsi que ses deux enfants ont obtenu l’asile politique en France début mai, selon leur avocat. Sa femme avait affirmé avoir été victime d’une tentative d’enlèvement. (Le Figaro, 21 janvier 2020) (NPR, 21 janvier 2020)
Jeudi 30 janvier, le parquet de Francfort a confirmé que des raids de la police avaient eu lieu dans plusieurs bureaux et domiciles en Allemagne et en Belgique, afin de retrouver la trace d’argent blanchi dans un système dit d’ « Azerbaijani Laudromat ». Un actuel et un ancien membre du Parlement allemand (Bundestag), accusés de corruption d’agents publics, ont été pris pour cible lors des raids. Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a rapporté que la police enquêtait sur le député de la CDU (Union chrétienne-démocrate), Karin Strenz, et l’ancien député de la CSU (Union sociale-chrétienne) Eduard Lintner. Tous deux sont soupçonnés de «corruption d’agents publics». Cette enquête fait notamment suite à un dépôt de plainte de la part de Transparency International Germany contre les deux responsables publics datant de 2019. (OCCRP, 30 janvier 2020)
ROYAUME-UNI/FRANCE
Poursuivi depuis près de quatre ans au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en France et confronté à des allégations de corruption et de non-respect des lois sur l’exportation d’armes, Airbus a conclu un accord de principe avec le Parquet national financier français, le Serious Fraud Office britannique et les Etats-Unis le 28 janvier. L’avionneur européen a accepté de verser environ 4 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros) de pénalités pour mettre un terme à ces enquêtes. L’entreprise dit avoir découvert les faits à l’occasion d’un vaste audit interne et a décidé de se dénoncer notamment pour éviter d’éventuelles poursuites grâce aux dispositions contenues dans les législations britannique (UK Bribery Act) et française (loi dite « Sapin II »). Cette dernière prévoit en effet des exemptions de peines pour les entreprises qui dénoncent de leur propre chef des faits de corruption. Airbus a été l’un des premiers dans ce cas. (Les Echos, 28 janvier 2020) (The Financial Times, 28 janvier 2020)
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