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« Il faut promouvoir une culture de l’intégrité publique »

Entretien accordé par Jean-Louis Nadal au journal Le Monde à l’occasion de la publication du rapport d’activité 2016 de la Haute Autorité.

Propos recueillis par Anne Michel – 11 avril 2014

Dans une présidentielle marquée par les affaires, Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, revendique sa « pédagogie ».

Créée en 2013 sur fond d’affaire Cahuzac, opérationnelle depuis 2014, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) devait publier, mardi 11 avril, son deuxième rapport d’activité. L’occasion d’un bilan pour son président, Jean-Louis Nadal, qui insiste sur l’importance de promouvoir « une culture de l’intégrité publique » en France et d’accompagner les responsables publics vers « l’exemplarité ». Un enjeu qui prend tout son relief, estime l’ancien procureur général près la Cour de cassation, au moment où la campagne pour l’élection présidentielle est marquée par les affaires impliquant François Fillon et Marine Le Pen.

Le Monde – Après trois ans de fonctionnement, quel bilan pour la HATVP ?

Jean-Louis Nadal – On dit des enfants qu’ils atteignent l’âge de raison vers 6 ou 7 ans. Pour la Haute Autorité, c’est arrivé plus vite, du fait d’une actualité et d’une activité intenses. Sous l’effet de l’affaire Cahuzac, la France est passée à la transparence à marche forcée et on voit bien que beaucoup reste à faire. C’est l’effet paradoxal de la transparence qui, parce qu’elle met en lumière des pratiques contestables sur le plan éthique, laisse à penser que la classe politique est plus corrompue que par le passé, alors qu’il n’en est rien. Il faut faire le pari d’un changement à long terme des comportements des responsables publics, sous l’effet conjugué du renforcement des règles et des sanctions.

Quel constat pour 2016, sur vos moyens d’enquête et la coopération avec le fisc ?

Nous avons dû gérer la montée en puissance, à mesure que le nombre de personnes soumises à l’obligation de déclarer leurs intérêts ou leurs patrimoines a augmenté, passant de 10 000 en 2014 à désormais 15 800. Pour assumer notre double mission de contrôle des déclarations et de prévention des conflits d’intérêts, nous disposons de moyens humains (une cinquantaine de personnes) et juridiques nouveaux. Parmi eux, la coopération avec l’administration fiscale, l’une des pierres angulaires des lois de 2013, est indispensable pour assurer l’efficacité de nos contrôles.

Cette coopération se passe dans d’excellentes conditions. J’en veux pour preuve l’habilitation donnée aux agents de la Haute Autorité pour accéder directement à certaines applications de l’administration fiscale. Demain, doter la Haute Autorité d’un droit de communication autonome pour obtenir directement des actes notariés ou des extraits cadastraux sans avoir à passer par le fisc, permettrait de lui donner plus d’autonomie.

Comment contrôlez-vous autant de personnes et les 6 006 déclarations de patrimoine et d’intérêts reçues en 2016 ?

Forcément, notre capacité de contrôle est bornée par nos effectifs limités. Il faut faire le distinguo entre d’un côté les ministres et les parlementaires et de l’autre, les autres déclarants comme les élus locaux, les hauts fonctionnaires, etc. Pour les premiers, la loi a prévu des contrôles systématiques de leurs déclarations et aussi, pour les ministres, de leur situation fiscale. Cela prend du temps mais aujourd’hui, nous sommes rôdés.

Pour les autres, nous faisons d’abord un contrôle systématique de leurs déclarations d’intérêts sitôt reçues. L’objectif est de détecter très vite les situations de conflits d’intérêts et éviter qu’elles ne s’installent. Nous en avons examiné plus de 3 000 en 2016. Pour les déclarations de patrimoine, les contrôles sont déclenchés en fonction de plusieurs critères, dont l’existence d’un signalement (par une administration, une association, un citoyen…) ou une déclaration incomplète ou hors délai. En 2016, 650 contrôles ont été engagés dans ce cadre.

Mais vous n’avez transmis que douze dossiers à la justice en 2016 – dont ceux du sénateur Jean-Noël Guérini et de l’ex-sénateur Gaston Flosse… Vous faites preuve de tolérance ?

En effet, l’année dernière, nous avons signalé à la justice douze cas de déclarations de patrimoine mensongères, chaque fois pour des faits graves portant sur des omissions ou des sous-évaluations. Cela représente moins de 1 % du millier de déclarations contrôlées. Au total, ce sont une vingtaine de dossiers qui ont été portés devant la justice depuis la création de la Haute Autorité, dont plusieurs ont d’ailleurs déjà donné lieu à des condamnations.

Plutôt que de tolérance, je dirais que nous avons fait preuve d’écoute et de pédagogie, en reconnaissant un droit à l’erreur à certains déclarants face à un exercice nouveau. Les choses sont effectivement amenées à évoluer puisque l’exercice n’est plus nouveau désormais.

Dans une campagne présidentielle marquée par les affaires, comment la HATVP exerce-t-elle sa mission ?

La campagne présidentielle donne un relief particulier aux questions de probité des responsables publics. Mais l’enjeu dépasse de loin l’échéance électorale. Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder les récentes études d’opinion. Seuls 2 % des Français font confiance au personnel politique selon le dernier baromètre Cevipof et plus des trois quarts d’entre eux estiment ces dirigeants corrompus. Le renforcement de notre cadre national d’intégrité est un enjeu majeur et l’exemplarité des responsables publics en est un pilier. Il nous faut organiser une meilleure coopération entre institutions, et nous attendons beaucoup de la nouvelle agence anticorruption [créée par la loi Sapin 2]. La formation est également une question déterminante, pour promouvoir une culture de l’intégrité publique à l’échelle de l’ensemble de la société. C’est en cela que la mission de la Haute Autorité est importante, et nous nous efforçons de la conduire avec détermination.

Comment réagissez-vous à l’accusation formulée par M. Fillon sur l’existence d’un cabinet noir à l’Elysée ?

Cette campagne électorale hors norme va s’achever et avec elle la tension qu’elle induit. La rivière va rentrer dans son lit. La sérénité revenant, nous verrons bien ce que notre justice établira dans l’écheveau des accusations et des mises en cause.

S’agissant de la présidentielle, la HATVP reçoit et publie les déclarations de patrimoine des candidats mais sans les contrôler, à la différence des autres déclarations. Pourquoi ?

Le 22 mars, pour la première fois, ont été rendues publiques les déclarations de patrimoine des candidats à l’élection présidentielle. Elles ont été consultées plus de 250 000 fois en vingt-quatre heures sur notre site Internet. Je regrette que la portée de cet exercice de transparence ait été parfois réduite à des classements financiers sans pertinence. La loi a voulu que soient portés à la connaissance du public les intérêts financiers des candidats et les liens d’intérêts qui en découlent. C’est cela l’intérêt de l’exercice ! Si la Haute Autorité ne peut contrôler ces déclarations, c’est la stricte application d’une décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé qu’un tel contrôle poserait un problème de rupture d’égalité entre candidats. Ce n’est pas très différent de ce qui se passe aux Etats-Unis.

Mais l’association Anticor vous a saisi du cas d’Emmanuel Macron ; or vous assurez, en vous fondant sur sa déclaration remplie quand il était ministre, qu’aucun élément « problématique » n’a été détecté…

Je n’ai rien à ajouter à cette réponse, si ce n’est que le procureur de la République de Paris a été saisi de la même question et a apporté la même réponse. Pour le reste, la Haute Autorité n’a pas vocation à juger le train de vie des uns et des autres, mais à s’assurer qu’ils ne sous-évaluent pas leur patrimoine ou n’en omettent pas des éléments, qu’ils ne s’enrichissent pas de manière illicite et, pour les ministres, qu’ils s’acquittent régulièrement de leurs impôts. Nous entendons rester vigilants et réactifs, pour toutes les situations relevant de notre compétence.

La transparence, en France, est-elle bien acceptée par tous les responsables politiques ?

Historiquement, la transparence n’a jamais fait partie de la culture française. Le Canada et pays scandinaves ont une longueur d’avance sur ces sujets. La transparence n’est pas une fin en soi mais un moyen au service d’un objectif plus global : favoriser l’émergence d’une culture déontologique, à même de dissiper les soupçons dont les responsables publics font l’objet.

Quels défis pour la HATVP en 2017 ?

La Haute Autorité devra faire face aux conséquences des échéances électorales, avec pas moins de 7 000 nouvelles déclarations qu’il faudra contrôler. Un grand défi, auquel s’ajoutera, à partir du 1er juillet, le registre des représentants d’intérêts (lobbies), dont la création vient de nous être confiée.

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