« Il faut éviter deux jurisprudences parallèles entre Commission de déontologie et Haute Autorité »
Entretien accordé par Jean-Louis Nadal au site ActeursPublics.com
Dans une interview accordée à Acteurs publics, le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) analyse la nouvelle version du projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires, présentée le 17 juin en Conseil des ministres, et propose quelques pistes d’amélioration lors du débat parlementaire.
Acteurs publics – Quelle est votre appréciation sur cette nouvelle version du projet de loi “Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires” ?
Jean-Louis Nadal – Globalement, je me réjouis que le gouvernement poursuive ses efforts pour faire de la probité une véritable politique publique. Ce texte sur la déontologie des fonctionnaires constitue à mes yeux un texte important car il consacre dans la loi les valeurs fondamentales de la fonction publique et renforce la déontologie des agents publics en leur appliquant les mêmes règles que celles qui s’appliquent aujourd’hui aux membres du gouvernement, aux parlementaires, aux élus locaux ou aux dirigeants du secteur public. Nous avons la chance en France d’avoir une fonction publique de très grande qualité. Ce texte, qui est le complément nécessaire des lois d’octobre 2013 sur la transparence, permettra d’élever encore plus le standard en favorisant le développement d’une véritable culture déontologique.
Quels sont pour vous les progrès les plus significatifs apportés par ce texte ?
Ce texte fait de la déontologie un véritable outil de prévention appelé à se diffuser à l’ensemble de la fonction publique. Il ne suffit pas d’affirmer les principes d’exemplarité de la fonction publique et de prévention des conflits d’intérêts pour que les agents publics acquièrent cette nouvelle culture. Il faut également leur offrir des outils de proximité. Ce sera le rôle des nouveaux référents déontologiques de proximité, chargés notamment de fournir un conseil adapté aux questions pratiques que les agents peuvent rencontrer dans l’exercice de leurs fonctions. Le statut général de la fonction publique ne peut suffire à embrasser ces questions car il a tendance à les réduire à des questions disciplinaires. La déontologie, elle, constitue un droit souple et pratique, qui s’adapte aux risques propres à chaque service, permet d’orienter le comportement des agents et de guider l’appréciation de leur hiérarchie. En cela, la déontologie n’est pas un carcan, mais au contraire, elle est libératrice et source de progrès.
Le gouvernement n’a pas retenu votre proposition visant à permettre aux commissions parlementaires d’exercer un contrôle déontologique des personnes dont la nomination leur est soumise par le président de la République…
En effet, il ne reprend pas cette proposition, pas plus que celle concernant la création de comités de sélection pour la nomination des cadres dirigeants de l’État. Nous verrons bien ; peut-être que le débat parlementaire permettra d’aller plus loin ? Le texte prévoit quand même de vérifier préalablement les intérêts des personnes appelées à être nommées dans les plus hautes fonctions administratives. On parle ici de fonctionnaires appelés à occuper de très hautes fonctions de direction et d’encadrement, dont l’action engage directement l’État. En plus d’éminentes qualités professionnelles, cela suppose, à mon avis, une exigence déontologique supérieure. D’où le fait de vérifier avant nomination qu’ils ne sont pas susceptibles de se trouver en situation de conflit d’intérêts.
Le texte couvre-t-il bien l’étendue de la haute fonction publique ?
Le périmètre exact n’est pas encore connu puisqu’il sera fixé par décret – personnellement, je souhaite qu’il soit le plus étendu possible – mais je note une avancée considérable puisque ce sont bien les trois fonctions publiques qui sont concernées, y compris les magistrats administratifs et financiers pour lesquels l’adaptation des dispositifs devra se faire par ordonnance. Il reste la question des magistrats de l’ordre judiciaire. J’ose espérer qu’on ne les laissera pas seuls sur les berges de la transparence. Sur le plan des principes, il me semblerait curieux que les magistrats de l’ordre judiciaire soient les seuls à ne pas se voir appliquer les mécanismes déontologiques qui s’imposent actuellement aux personnes entrant dans le champ des lois du 11 octobre 2013. Il y a un projet de loi en cours à ce sujet qu’il faut faire avancer. On pourrait d’ailleurs tout à fait concevoir qu’il soit examiné en même temps que ce texte sur les fonctionnaires. Cela aurait en plus l’avantage de s’assurer de la cohérence des différents dispositifs mis en place.
La Commission de déontologie de la fonction publique (CDFP), qui s’est vu dotée de pouvoirs de contrôle et d’investigation par le projet de loi, vous paraît-elle bien outillée ?
À défaut de regrouper l’expertise déontologique au sein d’une même autorité indépendante, il est important de donner de véritables moyens d’investigation et de contrôle à la Commission de déontologie comme à la Haute Autorité si l’on veut qu’elles exercent efficacement leurs missions. C’est une question de crédibilité tout autant vis-à-vis de l’opinion publique, dans son rapport à l’administration, que des fonctionnaires eux-mêmes, dans l’exercice de leurs missions de service public. On a vu par le passé que les avis de la Commission de déontologie n’étaient pas toujours respectés et que certaines situations pouvaient interroger. C’est donc une bonne chose que le projet de loi renforce ses prérogatives, en particulier pour contrôler le pantouflage des agents publics dans le secteur privé. Je note par ailleurs que la nouvelle version du projet de loi prévoit la correction d’un doublon de compétences entre la HATVP et la CDFP, s’agissant des élus locaux qui sont également fonctionnaires.
En matière de contrôle sur les conflits d’intérêts, quelle est la répartition des compétences entre la commission de déontologie “nouvelle version” et votre instance ?
La répartition est claire à défaut d’être totalement satisfaisante. La HATVP reste compétente – patrimoine et intérêts – pour les hauts fonctionnaires occupant un emploi à la décision du gouvernement et nommés en Conseil des ministres comme cela a été prévu par les lois d’octobre 2013 sur la transparence (environ 700 personnes). Rien ne change là-dessus. Elle s’occupera aussi des déclarations de patrimoine des agents publics visés par ce nouveau projet de loi. La Commission sera, elle, compétente pour les déclarations d’intérêts des autres hauts fonctionnaires, comme par exemple les sous-directeurs. L’important, c’est donc de prévoir un dialogue entre les deux institutions afin d’éviter que n’émergent deux jurisprudences parallèles qui ne seraient pas cohérentes. J’espère que le débat parlementaire permettra d’avancer sur ce point, par exemple en prévoyant des procédures d’avis ou en les déliant du secret l’une par rapport à l’autre.
Êtes-vous satisfait que le nouveau texte donne compétence à la HATVP pour examiner les déclarations de patrimoine de tous les agents publics ?
La HATVP contrôle déjà les déclarations de patrimoine et d’intérêts de plusieurs centaines de hauts fonctionnaires nommés en Conseil des ministres. Elle a développé en dix-huit mois une véritable expertise dans ce domaine. Il me semble donc normal qu’elle soit aujourd’hui destinataire des déclarations des agents publics. L’important, c’est qu’elle puisse le faire avec les mêmes moyens. Sur ce point, le texte doit être amélioré car il prévoit pour l’instant des modalités différentes. J’insiste sur ce point : la Haute Autorité doit avoir les mêmes moyens pour contrôler les déclarations des fonctionnaires que ceux dont elle dispose notamment pour les élus.
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