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L’ENA hors les murs – n°444 – Septembre 2014

 

Le rôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a été créée par les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique et participe d’une volonté générale de renforcer la probité publique, confirmée par l’instauration récente du procureur de la République financier et de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.

La Haute Autorité est une instance inédite, en ce qu’elle brouille les frontières institutionnelles traditionnelles. Ainsi, jamais une autorité administrative indépendante n’avait bénéficié du concours d’une administration centrale comme la Haute Autorité jouit de celui de l’administration fiscale. De même, c’est la première fois qu’une autorité est chargée de faire respecter des obligations qui concernent, de manière transversale, l’ensemble des autorités administratives et publiques indépendantes.

Une mission déontologique

Jusqu’à la création de la Haute Autorité, la lutte contre les atteintes à la probité publique reposait essentiellement sur deux instruments : le contrôle de la situation patrimoniale des élus, confié à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, et la répression pénale de délits tels que la concussion, la corruption passive, la prise illégale d’intérêts ou le favoritisme, dissuasifs mais intervenant a posteriori et peu appliqués.

La prévention des conflits d’intérêts en était largement absente, ainsi que l’avaient noté les rapports rendus en 2011 par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, et en 2012 par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.

Il existait bien des incompatibilités de fonctions, telles celles qui figurent à l’article 23 de la Constitution pour les membres du gouvernement, qui empêchaient que les responsables publics ne cumulent des fonctions dont l’exercice conjoint était problématique. Certaines structures (assemblées parlementaires, collectivités territoriales, entreprises publiques) avaient pris l’initiative d’édicter des règles déontologiques, au fil du temps, voire d’instaurer un référent déontologique, mais rien de systématique jusqu’aux lois du 11 octobre 2013.

La création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a permis de faire évoluer cette situation. A l’image des articles liminaires de la loi, qui explicitent les grandes obligations des responsables publics (dignité, probité et intégrité) et définissent la notion de conflit d’intérêts, comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction », les compétences de la Haute Autorité embrassent, pour la première fois en France et en Europe, l’ensemble des règles déontologiques applicables aux plus hauts responsables publics.

Elargissement des personnes assujetties d’abord. Sont en effet concernés non plus seulement les membres du gouvernement, les élus les plus importants et les responsables de sociétés publiques, mais également les membres des autorités administratives indépendantes, les conseillers de cabinet ministériels et toute personne nommée en conseil des ministres. Au-delà, les grands principes énoncés par la loi sont applicables à toute personne élue ou chargée d’une mission de service public.

Renforcement des compétences ensuite. Ce sont désormais les passages vers le secteur privé des élus locaux et des membres du gouvernement à l’issue de leurs fonctions qui doivent recueillir l’avis favorable de la Haute Autorité. Cette dernière peut également s’autosaisir de toute situation de conflit d’intérêts et enjoindre d’y mettre fin. Elle répond enfin aux demandes d’avis déontologiques qui lui sont adressées et peut formuler des recommandations. Par exemple, elle a déjà saisie sur la possibilité de conserver des intérêts privés, comme la participation à des organes dirigeants de sociétés, en parallèle de fonctions publiques ou sur la comptabilité de certaines fonctions avec une activité professionnelle antérieure, par exemple une activité d’avocat.

La Haute Autorité est ainsi chargée d’appréhender toute une série de situations qui, sans pour autant constituer des infractions pénales, desservent la poursuite de l’intérêt général. Sa mission principale est de les prévenir mais elle dispose également de moyens accrus, dans les rares cas où cela s’avère nécessaire, de les détecter et de les sanctionner.

Des moyens rénovés

Le défi, pour la Haute Autorité, est assurément majeur et sa réalisation nécessitera un temps non négligeable d’acculturation de la sphère publique française à l’identification et à la prévention des conflits d’intérêts, acculturation qui n’a pas attendu la création de la Haute Autorité pour débuter, mais dont l’accélération est la condition d’une confiance accrue des citoyens pour leurs responsables publics. Encore faut-il, pour parvenir à cette fin, que la Haute Autorité dispose des moyens, notamment procéduraux, nécessaires. C’est ce à quoi ont veillé les lois du 11 octobre 2013.

Ainsi, la Haute Autorité a reçu le statut d’autorité administrative indépendante, lui garantissant non seulement qu’elle ne recevrait aucune consigne de la part de l’Exécutif, mais aussi qu’elle jouirait d’une large autonomie fonctionnelle. Ainsi, la Haute Autorité est libre de procéder à ses propres recrutements et ordonne ses dépenses budgétaires de façon autonome. Elle a ainsi pu structurer l’organisation de ses services par la mise en place de pôles chargés de mettre en œuvre ses différentes missions, qu’il s’agisse du contrôle des déclarations, ou de la prévention des conflits d’intérêts, auxquels sont affectés une trentaine d’agents au total ainsi que des rapporteurs issus des hautes juridictions. Son indépendance est également assurée par la composition de son collège, lequel comprend, outre son président désigné après audition des commissions des deux assemblées, deux représentants de chacune des juridictions suprêmes – Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes – et deux personnalités désignées par les présidents des assemblées parlementaires, sur avis conforme des commissions des lois de chaque assemblée, rendu à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Surtout, la Haute Autorité est désormais au carrefour des institutions chargées de promouvoir la déontologie des responsables publics. Un lien étroit a été créé avec l’administration fiscale puisque cette dernière vérifie, sous le contrôle de la Haute Autorité, la situation fiscale des membres du gouvernement, et fournit tous les éléments d’appréciation des déclarations de patrimoine reçues par la Haute Autorité. Les associations de lutte contre la corruption agréées par la Haute Autorité, à l’instar de Transparency International France, qui a obtenu un agrément le 5 juin dernier, peuvent également la saisir de tout manquement qu’elles constateraient.

En outre, la Haute Autorité dispose d’une série de prérogatives variées et complémentaires. Le mécanisme de l’injonction (à faire cesser un conflit d’intérêts, à produire un document, etc.) constitue un moyen efficace pour garantir l’effectivité des contrôles de la Haute Autorité. Par ailleurs, elle ne dispose pas uniquement de l’alternative entre ne rien faire ou transmettre un dossier au parquet mais peut privilégier des solutions intermédiaires, telles que la formulation d’appréciations rendues publiques ou de recommandations générales ou individuelles, relatives à toutes questions déontologiques. Le législateur a notamment prévu que la Haute Autorité formulera de telles recommandations en matière de relations avec les représentants d’intérêts.

Il ne faut pas oublier enfin que la Haute Autorité n’est pas la seule instance chargée du respect des lois d’octobre 2013. Par la publication de certaines déclarations, à l’image de celles des membres du gouvernement le 27 juin dernier, le législateur a entendu faire de chaque citoyen le gardien des principes déontologiques qu’il a énoncés. Il s’agit sans doute là de la plus grande innovation de ces lois, dont les effets transformeront en profondeur les missions de la Haute Autorité et peut-être, plus largement, les relations entre les citoyens et leurs élus dans le sens d’une plus grande confiance.

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