Entretien à l’AFP : Face à la « défiance », faire de la HATVP une autorité constitutionnelle, défend son président
« La confiance est un combat »: l’ancien magistrat Jean-Louis Nadal, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur le départ, demande dans un entretien à l’AFP d’inscrire son institution dans la Constitution pour mieux renouer avec les citoyens.
Née après le scandale Cahuzac il y a six ans, la Haute autorité, que vous présidez depuis ses débuts, a-t-elle bientôt atteint une sorte d’âge de raison?
Les débuts n’ont pas été faciles pour que les responsables publics s’accoutument aux mécanismes de contrôle de leurs patrimoines et intérêts. Aujourd’hui, 99% des contrôlés accomplissent cette tâche sans difficulté. La HATVP a accompagné cette mission par une volonté pédagogique permanente, ce qui est décisif dans la conquête de cette culture de l’intégrité.
Autre élément de maturité: il y a une montée en puissance dans le pays de la volonté d’instaurer la confiance, des lois sur la transparence de 2013 jusqu’à la fusion de la HATVP avec la commission de déontologie de la fonction publique, en passant par les lois de 2017. Les responsables publics – élus, haute administration, ministères, collectivités… – sont entrés dans cette modernité: l’impérieuse nécessité de leur crédibilité passe par la transparence.
Le modèle français de la Haute autorité suscite d’ailleurs le vif intérêt d’autres pays, comme la Tunisie, la Roumanie, la Bulgarie, et nous avons mis en place un réseau international. La HATVP est dans une indépendance totale. J’ai été choisi pour cela, à la tête d’un collège (composé de hauts magistrats et personnalités spécialisées). Je n’ai fait l’objet de pressions ni de l’Elysée, ni de Matignon. »
Et pourtant, entre affaires récurrentes, antiparlementarisme et remise en cause de la démocratie représentative, comment lutter contre le soupçon devenu permanent?
C’est un constat que je déplore. La confiance et la transparence sont un combat, et la culture de l’intégrité a été acquise par un combat. Malheureusement il y aura toujours des faiblesses, car l’être humain est ce qu’il est. Les conséquences sont désastreuses, puisqu’elles font retentir dans la République cette litanie dévastatrice du « tous pourris ». Je m’inscris en faux: ce n’est pas vrai.
Nous sommes malheureusement dans une phase de démocratie de la défiance. A tous les niveaux, national, régional, départemental, communal, il convient de prendre des initiatives – la campagne des élections municipales peut être une occasion. Il faut un sursaut de pédagogie citoyenne. La réduction de ce cancer de la défiance ne peut passer que par des lois: il faut du concret. L’imagination doit être au pouvoir.
Quels défis devra en priorité relever votre successeur?
La maison HATVP est forte, mais il reste des choses à faire. Nous avons lancé le registre public des représentants d’intérêts (où l’inscription est obligatoire pour rencontrer ministres et cabinets, parlementaires, certains hauts fonctionnaires … ndlr) mais il faut l’améliorer. Les déclarations des lobbyistes doivent être plus précises, plus complètes, leur fréquence au moins semestrielle… Il faut que les agendas des responsables publics fassent paraître les rendez-vous. C’est l’objectif initial: que les citoyens sachent comment se font la loi et le règlement.
En outre, il faut poursuivre cette dynamique puissante entamée depuis les lois d’octobre 2013. La demande de changement fortement exprimée par les citoyens doit être entendue à sa juste mesure. Comme le Défenseur des droits, la Haute autorité doit devenir une autorité constitutionnelle. Ca signifiera qu’on n’est pas dans une nébuleuse administrative, mais à part et on rendra compte directement. La probité des responsables publics est une exigence citoyenne telle qu’elle doit également apparaître dans la Constitution.
Propos recueillis par Anne-Pascale Reboul
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