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Entretien avec Le Monde – Didier Migaud, président de la Haute Autorité : « Nous souhaitons disposer d’un pouvoir de sanction propre »

A l’occasion de la publication du rapport d’activité 2019 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’ex-premier président de la Cour des comptes, nommé à la tête de cette autorité de contrôle le 31 janvier par Emmanuel Macron, préconise plusieurs réformes pour renforcer l’intégrité de la vie publique et la transparence.

Le gouvernement Castex a fait l’objet d’un contrôle préalable de la Haute Autorité. En quoi a-t-il consisté ? Est-il de nature à éliminer tout problème ?

Le président de la République peut solliciter le président de la HATVP depuis 2017, sur des informations relatives à des responsables publics, notamment dans le cadre de la composition d’un nouveau gouvernement. Cette procédure informelle se déroule dans des délais contraints : vingt-quatre heures à partir des éléments en notre possession, essentiellement les déclarations de patrimoine et d’intérêts qu’ont pu déposer les membres du gouvernement pressentis en tant qu’anciens élus ou responsables publics. La direction générale des finances publiques est saisie en parallèle, sur leur situation fiscale.

C’est seulement une fois le gouvernement en place que le collège de la HATVP procède à un contrôle approfondi des déclarations de patrimoine et d’intérêts remises par les ministres, dans un délai de deux mois après leur nomination. Ces vérifications se font notamment sur la base des informations dont dispose l’administration fiscale. En pratique, seul cet examen approfondi permet à la Haute Autorité de se prononcer sur l’existence d’un conflit d’intérêts, son intensité et les moyens d’y remédier.

Quel rôle la HATVP joue-t-elle dans la vie publique, sept ans après sa création sur fond d’affaire Cahuzac ?

Son rôle est essentiel pour contribuer à améliorer la confiance entre responsables publics et citoyens. Une telle autorité a toute sa justification. Sa mission est de promouvoir l’intégrité de la vie publique en France, à travers le contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts des plus hauts responsables publics.

Les élus se sont approprié les obligations de transparence et, dans l’immense majorité des cas, celles-ci sont respectées. Dans le cas contraire, nous intervenons. La Haute Autorité a su développer un rôle de conseil auprès des responsables publics. Il est fondamental que nous puissions les accompagner. Ils sont de plus en plus nombreux à nous consulter.

Vous avez été nommé par Emmanuel Macron il y a six mois, le temps d’un état des lieux. Que manque-t-il à la HATVP pour être totalement efficace ? Quelles sont vos priorités ?

J’ai pu mesurer le travail effectué sous l’autorité de Jean-Louis Nadal, qui fut le premier président de la Haute Autorité, et son collège. Les exigences relatives à la probité des responsables publics étant plus solidement ancrées, nous pourrions promouvoir encore davantage une transparence utile, en renforçant la prévention, l’accompagnement et les moyens de contrôle.

A ce titre, nous formulons plusieurs propositions. Nous souhaitons que la HATVP dispose d’un pouvoir de sanction propre, pour les manquements aux obligations administratives et déontologiques non substantiels, comme des omissions ou des sous-évaluations de patrimoine qui ne nécessitent pas de saisir la justice. Pratiquement toutes les autorités administratives indépendantes ont un tel pouvoir, qui s’ajoute aux sanctions pénales possibles.

Nous souhaiterions aussi disposer d’un droit de communication autonome élargi aux administrations, aux entreprises et aux banques. Nous avons un accès direct à un certain nombre de fichiers et d’informations, en particulier auprès de l’administration fiscale. Il serait utile d’étendre ce droit, pour gagner en temps et en efficacité.

Et nous aurons à préciser notre doctrine dans nos domaines d’expertise juridique, comme le conflit d’intérêts et l’encadrement du lobbying. Rendre les dispositifs plus intelligibles constitue un défi permanent pour la HATVP, qui doit tracer des lignes claires. Ainsi, en matière d’encadrement du lobbying, nous sommes partisans de faire évoluer le décret d’application de la loi Sapin II, trop complexe et restrictif.

Avec ce nouveau pouvoir de sanction, des manquements non sanctionnés aujourd’hui le seraient demain ? Une loi sera-t-elle nécessaire ?

Oui, cela passe par une modification législative. Il y a une proportionnalité à établir dans la gravité des faits, et le juge pénal intervient bien sûr pour les manquements graves. La Haute Autorité doit pouvoir travailler avec le maximum d’efficacité, tout en restant dans les missions que lui a confiées le législateur. Il ne s’agit pas de nous substituer au juge pénal lorsque celui-ci doit être saisi. Il existe donc effectivement un champ de manquements non sanctionnés qui pourraient l’être demain.

Combien de dossiers transmis à la justice en 2019 ? Que disent-ils de la probité en France ?

Vingt-trois dossiers ont été transmis à l’autorité judiciaire, dont dix dus à des prises illégales d’intérêts par des responsables publics en fonction, et un post-fonction. Depuis 2014, 102 dossiers ont été transmis à la justice, qui ont donné lieu à douze condamnations, étant entendu que bon nombre d’entre eux sont encore à l’instruction. Ces données montrent une bonne appréhension de la probité chez les responsables publics.

Dans un souci de transparence, les informations données sur notre site feront apparaître les élus qui n’auraient pas rempli leurs obligations déclaratives, après relance et injonction. Nous parlons là d’un petit nombre de personnes.

A propos de lobbying, quel bilan dressez-vous de la mise en place, mi-2017, auprès de la HATVP, du répertoire des représentants d’intérêts ?

Ce répertoire compte désormais 2 000 inscrits. Son existence marque un progrès considérable. Le lobbying est une réalité ancienne. Il est important de l’encadrer et de le réguler, pour qu’il s’exerce en toute transparence. Le rôle de la Haute Autorité qui gère ce répertoire est de ce point de vue utile, afin de rendre visibles et traçables les activités des représentants d’intérêts et les relations qu’ils entretiennent avec les responsables publics.

Ce dispositif est encore récent et perfectible. Plus que la quantité, la qualité des informations déclarées est primordiale. Le législateur a décidé d’étendre ce répertoire aux collectivités territoriales. Avec la crise, ce délai a été reporté d’un an. Nous ferons un premier bilan et remettrons un rapport au Parlement à l’été 2021, pour identifier les dispositions nécessaires à cette extension.

Y a-t-il des leçons à tirer des affaires Delevoye (omissions de déclarations) et Kohler (possible conflit d’intérêts dû à des liens familiaux avec une société) ?

Ces deux situations ne sont pas comparables. Je n’étais pas président de la Haute Autorité quand a été examinée la situation de M. Delevoye. Le collège a constaté qu’il avait déposé sa déclaration en retard, avec un certain nombre d’omissions susceptibles de caractériser l’infraction d’omission substantielle, en raison de leur nombre, de la nature de certains intérêts omis et des risques de conflits d’intérêts avec ses fonctions gouvernementales. Ces manquements ont été signalés au procureur de la République. Cet épisode a montré l’utilité de notre institution et de la publicité faite à ces déclarations.

M. Kohler, pour sa part, a relevé, pour son départ dans le groupe MSC, de la Commission de déontologie de la fonction publique. En tant que collaborateur du président de la République, il est déclarant à la Haute Autorité. Le collège n’a pas fait connaître de remarque particulière sur sa déclaration d’intérêts.

La HATVP, qui absorbe la Commission de déontologie de la fonction publique, sera seule en ligne pour contrôler les mobilités public/privé. En quoi le contrôle sera-t-il amélioré ?

La Commission n’était plus en mesure d’absorber les dossiers soumis. Le législateur a voulu transférer cette responsabilité à la HATVP, en concentrant le contrôle sur les emplois stratégiques et les questions complexes. Cela représente plus de 15 000 personnes.

En quoi l’indépendance de la HATVP, acteur-clé du contrôle, est-elle garantie ?

La Haute Autorité a montré son indépendance sous Jean-Louis Nadal et cela continuera avec moi. Le collège est très sourcilleux sur cette question. L’indépendance est totale, je peux en attester. Elle est nécessaire. Par ailleurs, nous ne voulons pas travailler en circuit fermé, mais aussi avec les autres autorités proches de nos missions : Tracfin, l’Agence française anticorruption, le Parquet national financier, les juridictions administratives et financières. L’objectif, c’est de rechercher la meilleure complémentarité possible, pour la meilleure efficacité, en évitant les doublons. Je crois à l’importance de la définition de missions claires entre les uns et les autres. Nous serons force de propositions aussi dans ce domaine.

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