Le dispositif français d’encadrement de l’influence étrangère

Autres PUBLIÉ LE 16 juillet 2024

Si le risque d’ingérence étrangère n’est pas nouveau, le sujet occupe depuis quelques mois les débats en France et en Europe. Entre révélations médiatiques (avec l’affaire dite du Qatargate notamment) et prise de conscience de la multiplication des canaux possibles de l’ingérence, accentuée par la vitesse d’évolution de nouveaux usages (réseaux sociaux et intelligence artificielle notamment), la question suscite désormais l’intérêt des citoyens et des pouvoirs publics.

La multiplication des actions d’influence, directes ou indirectes, exercées par des États étrangers, leur manque de traçabilité et leur complexité font peser des risques importants sur les processus démocratiques nationaux. Des actions hostiles aux intérêts nationaux peuvent être déployées sans que celles-ci ne soient visibles pour l’opinion publique, alors même que les décisions publiques doivent être prises dans l’intérêt général et au service des intérêts nationaux. Encadrer l’influence des intérêts étrangers sur la décision publique apparaît donc nécessaire pour maintenir l’intégrité et la transparence du processus décisionnel.


Pourquoi la Haute Autorité a-t-elle commandé un rapport à l’OCDE sur le sujet en 2023 ?

Au travers des trois missions principales qu’elle exerce déjà, la Haute Autorité peut apprécier le risque d’influence étrangère sur les responsables publics :

– via la gestion du répertoire des représentants d’intérêts qui couvre les représentants d’intérêts étrangers cherchant à influencer les décisions des responsables publics français dès lors qu’ils remplissent les critères enclenchant les obligations déclaratives. En effet, la Haute Autorité a mis à jour en octobre 2023 les lignes directrices du répertoire afin que les représentants d’intérêts soient aussi tenus de déclarer les administrations étrangères qui font appel à leurs services. Le bilan de cette évolution est, à ce jour, plutôt décevant : en juin 2024, à peine trois entités avaient déclaré des pays étrangers comme clients. Ce chiffre montre que le dispositif d’encadrement de la représentation d’intérêts en France, introduit par la loi dite Sapin II, n’est pas pertinent pour permettre de tracer efficacement les activités d’influence étrangère ;

– via le contrôle des mobilités professionnelles des responsables publics entre les secteurs public et privé, qui peut porter sur les carrières de hauts fonctionnaires français établis à l’étranger ou des responsables publics qui souhaitent rejoindre des entreprises étrangères. Si la Haute Autorité peut éventuellement identifier les risques d’ingérence étrangère, son contrôle vise, à ce jour, à prévenir exclusivement les risques d’ordre pénal et déontologique ;

– via le contrôle des déclarations d’intérêts déposées par les responsables publics. Ce contrôle peut permettre, le cas échéant, à la Haute Autorité d’identifier l’existence de certaines associations liées à des États étrangers dans lesquelles les déclarants auraient des fonctions dirigeantes ou rémunérées.

Ces contrôles ne sont toutefois pas spécifiques aux activités menées pour le compte d’un mandant étranger. Aussi, consciente de l’insuffisance du dispositif existant, la Haute Autorité s’est saisie du sujet et a sollicité l’OCDE dès mars 2023 afin de proposer des pistes d’action concrètes pour renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France.

Quelles étaient les principales recommandations du rapport de l’OCDE ?

Publié en avril 2024, le rapport de l’OCDE visait à identifier des solutions concrètes pour rendre les activités d’influence étrangère plus transparentes. Au moyen d’une analyse approfondie et comparée des cadres législatifs et institutionnels français et étrangers, ce rapport avance trois scénarii d’évolution et plusieurs propositions d’action à destination des politiques publiques.

Le principal scénario préconisé consiste en la mise en place d’un registre ad hoc spécifique aux activités d’influence étrangère et confié à la Haute Autorité. Le rapport préconise également de renforcer les obligations déontologiques applicables aux responsables publics et aux représentants d’intérêts ainsi que le contrôle exercé sur les carrières professionnelles de certains responsables publics au sein d’entités étrangères.

Parallèlement à l’élaboration de ce rapport, divers travaux parlementaires sur l’influence et l’ingérence étrangère ont également été engagés. Dès décembre 2022, l’Assemblée nationale a mis en place une commission d’enquête « relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères », dont le rapport a été rendu le 1er juin 2023. S’en est suivi le dépôt d’une proposition de loi le 6 février 2024, visant notamment à l’instauration d’un nouveau registre de transparence des activités d’influence étrangère. Le Gouvernement a engagé la procédure d’urgence sur ce texte. Au début du mois de juin 2024, le Sénat puis l’Assemblée nationale ont successivement adopté le texte final, élaboré en commission mixte paritaire fin mai. Le 12 juillet, le Conseil constitutionnel a été saisi sur le volet algorithmique de la loi, après une première saisine, le 10 juin, jugée irrecevable. La loi est désormais en attente de l’évaluation de sa constitutionnalité puis, le cas échéant, de sa promulgation par le Président de la République.

Quelles évolutions introduit la future loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France ?

Le texte investit d’abord la Haute Autorité d’une nouvelle mission : celle de gérer un registre de transparence des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger. Dans le détail, ce nouveau registre instaure des obligations déclaratives pour les personnes physiques ou morales exerçant, sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger et aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier, une ou plusieurs actions destinées à influer sur la décision publique ou sur la conduite des politiques publiques nationales et de la politique européenne ou étrangère de la France. Ces obligations déclaratives vont plus loin que les obligations déjà existantes pour les représentants d’intérêts et couvrent les entrées en communication avec une liste élargie de responsables publics, qu’elles soient à l’initiative de la personne physique ou morale ou des responsables publics eux-mêmes. Elles concernent également les actions de communication à destination du grand public, conformément aux préconisations de l’OCDE et les actions de collecte de fonds ou de versement de fonds sans contrepartie. Le « mandant étranger » peut être une puissance étrangère mais aussi une personne morale directement ou indirectement contrôlée par une puissance étrangère ou un parti ou groupement politique étranger (sauf État membre de l’Union européenne). Une disposition propre aux « think tanks » exige par ailleurs de ceux-ci et des établissements éducatifs publics à but non lucratif ayant pour vocation la diffusion d’une langue étrangère et la promotion des échanges culturels qu’ils transmettent à la Haute Autorité, la liste des dons et versements étrangers reçus. Ce nouveau répertoire doit être opérationnel le 1er juillet 2025 au plus tard.

D’autres dispositions concernent ensuite le contrôle des projets de mobilité professionnelle des responsables publics effectué au titre de l’article 23 de la loi du 11 octobre 2013. Aux risques d’ordre pénal et déontologique déjà examinés par la Haute Autorité s’ajoute désormais, pour cette population, le risque d’influence étrangère. Lorsque le contrôle est exercé au regard de ce risque, le délai est étendu à cinq ans, contre trois pour les risques déjà étudiés jusqu’alors. Ce nouveau pan du contrôle des mobilités prendra effet dès la promulgation du texte.

Concrètement, cette nouvelle loi confère des pouvoirs accrus à la Haute Autorité qui peut ainsi mettre en demeure les personnes qu’elle estime entrer dans le champ du dispositif, de lui communiquer toute information ou document, sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé. Elle peut procéder à des vérifications sur place et prendre copie des documents propres à faciliter l’accomplissement de sa mission, demander aux responsables publics de lui communiquer la liste des personnes tenues à des obligations déclaratives avec qui ils sont entrés en communication, rendre publiques les mises en demeure et prononcer une astreinte d’un montant maximum de 1 000 euros par jour en cas de manquement aux obligations déclaratives.

Et maintenant ?

La loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France doit encore être promulguée avant de pouvoir entrer en vigueur. La Haute Autorité devra aussi être dotée des moyens nécessaires pour assurer la mise en place et l’exercice de ses nouvelles prérogatives.

Le sujet de l’ingérence et de l’influence étrangères n’en sera pas clos pour autant : une commission d’enquête sénatoriale sur ce thème a débuté en février 2024 et devrait rendre ses travaux à la fin du mois de juillet.

Mise à jour : la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France a été promulguée le 25 juillet 2024.


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