La représentation des intérêts des GAFAM depuis 2020

Analyses thématiques PUBLIÉ LE 3 avril 2025

Chaque année, les acteurs de la société civile inscrits au répertoire des représentants d’intérêts sont tenus de déclarer leurs activités de représentation d’intérêts.

La Haute Autorité propose des analyses produites à partir de ces données et destinées à montrer l’impact de l’activité de représentation d’intérêts sur la décision publique. Les sujets sont sélectionnés en fonction de leur intérêt pour le grand public et du nombre de données présentes sur le répertoire, qui renseigne sur l’intensité et la nature des actions de représentation d’intérêts menées (une annexe précise la méthodologie utilisée pour l’extraction des données). L’objectif est de montrer ainsi « qui influence la loi », dans quel sens et avec quels moyens.


L’acronyme GAFAM renvoie à cinq entreprises historiquement leaders dans le secteur du numérique : Google, Apple, Facebook (depuis renommée Meta mais inscrite sous son ancien nom sur le répertoire des représentants d’intérêts), Amazon (existant sous deux dénominations au sein du répertoire, Amazon France Services SAS et AWS) et Microsoft. Toutes américaines, ces entreprises muées en des firmes transnationales ont, au fil des années, développé des biens et services devenus omniprésents au sein des sociétés contemporaines. Entre fascination de leur capacité à révolutionner les usages et crainte de leur puissance croissante, les GAFAM alimentent régulièrement le débat public.

Les cinq entreprises composant les GAFAM sont toutes inscrites au répertoire des représentants d’intérêts et y déclarent leurs activités annuellement. Ces données accessibles à tous permettent de mieux comprendre l’activité de représentation d’intérêts de ces acteurs, leurs pratiques et leurs enjeux. L’objet de cette analyse est d’éclairer la manière dont les GAFAM entendent influencer la décision publique, l’évolution de leurs activités de représentation d’intérêts au fil des quatre dernières années et les enseignements généraux qu’il est possible d’en tirer.

Cette analyse se fonde sur 533 fiches d’activités relatant des actions entreprises entre 2020 et 2024. Elles émanent de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft mais aussi des entités mandatées par ces acteurs pour représenter leurs intérêts.



Google, premier représentant d’intérêts des GAFAM en nombre de fiches d’activités déclarées

 

    

 

Le nombre de fiches d’activités ne témoigne pas nécessairement du nombre d’actions de représentation d’intérêts effectivement menées. Il peut néanmoins refléter la variété des thématiques couvertes par ces actions.

Entre 2020 et 2024, 247 fiches d’activités témoignent de la représentation d’intérêts de Google, que celle-ci ait été effectuée par Google directement ou par une entité tierce – cabinet de conseil, agence d’affaires publiques ou de communication, fédération professionnelle, etc. – classant ainsi l’entité loin devant ses quatre homologues.

Elle est suivie par Amazon, qui compte 118 fiches d’activités représentant ses intérêts pour la même période, soit plus de deux fois moins que Google.

En troisième place du classement se situe Facebook avec 85 fiches d’activités déclarées directement ou par des entités tierces, suivie de Microsoft (56 fiches d’activités cumulées) et d’Apple (27 fiches d’activités cumulées).

Près de dix fois plus de fiches d’activités sont donc déclarées pour le compte de Google comparativement à Apple, alors même que l’écart de leurs chiffres d’affaires respectifs réalisés en France est moindre (en 2022, celui d’Apple s’élevait à environ 225 millions d’euros tandis que celui de Google s’élevait à environ 725 millions d’euros, soit un rapport d’un à trois contre un à neuf sur le volet des fiches d’activités). La différence d’avec Microsoft est également à souligner : Microsoft ne compte que 56 fiches d’activités représentant ses intérêts, soit près de 200 de moins que Google, tandis que son chiffre d’affaires réalisé en France en 2022 s’élevait à 3 milliards d’euros, soit plus de quatre fois celui de Google la même année.

Si Amazon se situe en deuxième position, l’écart avec Google est lui aussi très important, allant de plus du simple au double. En revanche, les écarts entre Amazon, Facebook, Microsoft et Apple sont plus équilibrés.

Ces ordres de grandeur doivent toutefois être considérés à la lumière de la réserve émise précédemment selon laquelle une fiche d’activité est susceptible de couvrir plusieurs actions de représentation d’intérêts.Dans le détail, on constate des différences de pratiques entre les acteurs dans leurs recours à des entités tierces pour représenter leurs intérêts. Si les cinq GAFAM procèdent tous majoritairement à la représentation directe de leurs intérêts auprès des responsables publics, ils le font dans des proportions sensiblement différentes. Ainsi, près de 75 % des fiches d’activités concernant Google ont été déclarées par Google directement (184 fiches d’activités déclarées en propre contre 63 fiches d’activités déclarées par des entités tierces). La proportion est presque identique pour Microsoft (42 fiches d’activités déclarées en propre et 14 fiches d’activités déclarées par une entité tierce) et Apple (21 fiches d’activités déclarées en propre contre six déclarées par des entités tierces).

À l’inverse, Facebook tend davantage vers un partage équilibré entre représentation d’intérêts directe et indirecte avec « seulement » 54 % des fiches d’activités qui l’ont concernée déclarées en propre (46 fiches d’activités déclarées en propre contre 39 déclarées par des entités tierces). On observe donc un recours à des prestataires proportionnellement plus soutenu que pour Google, Apple ou Microsoft.

Amazon, quant à elle, déclare 61 % des fiches d’activités la concernant (73 fiches d’activités déclarées en propre contre 45 fiches d’activités déclarées par une entité tierce).



Le nombre de fiches d’activités déclarées concernant les GAFAM en hausse depuis 2020

Entre 2020 et 2024, on constate une hausse du nombre de fiches d’activités déclarées concernant la représentation des intérêts des GAFAM. L’acteur pour qui cette tendance est la plus notable est Google (31 fiches d’activités déclarées directement ou par une entité tierce en 2020 contre 112 depuis 2023).

Pour Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, la tendance est plutôt à la stabilité s’agissant des actions menées pour leur propre compte. On observe par exemple qu’Amazon déclare 16 fiches d’activités en 2020, 15 en 2021 et 21 en 2022 et en 2023. Pour Microsoft, ces chiffres oscillent entre sept, huit et dix.

Les actions menées par des entités tierces pour le compte des GAFAM révèlent quant à elles un pic d’activité en 2022, moins visible si l’on s’en tient uniquement aux activités menées en propre. Cette année-là, 22 fiches d’activités réalisées par des entités tierces citent par exemple Amazon, contre dix en 2021 et dix en 2023. Il en est de même pour Google, pour le compte de qui 16 fiches d’activités ont été déclarées en 2022, contre six en 2021 et huit en 2023. Ce pic peut s’expliquer par des discussions autour de deux lois en particulier, la loi n° 2022-300 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet et la loi n° 2022-309 pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public. Si ces deux textes sont susceptibles d’avoir mobilisé les GAFAM, 2022 était également une année d’élections présidentielle et législatives, événements de premier plan pour des acteurs cherchant à influencer le champ réglementaire et législatif et les politiques publiques.

Ces données peuvent illustrer l’intérêt que revêt le recours à des représentants tiers pour des entreprises lorsqu’elles font face à une intensification de leurs enjeux.

En agglomérant les chiffres de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft et en procédant à leur comparaison par année, la tendance haussière – en grande partie portée par Google néanmoins – est très claire. Ainsi, pour 2020, 88 fiches d’activités concernent la représentation des intérêts des GAFAM. En 2021, ce chiffre passe à 100, 158 en 2022 et 187 en 2023.


S’agissant des budgets consacrés à la représentation d’intérêts par les GAFAM entre 2020 et 2023, la tendance pour chacun d’entre eux est, mécaniquement, à la hausse également  (le montant des dépenses consacrées aux actions de représentation d’intérêts est exprimé en fourchettes, conformément aux dispositions de l’arrêté du 4 juillet 2017). La tendance haussière des moyens alloués à la représentation d’intérêts reflète une augmentation des actions et une intensification de la pratique sur la période étudiée.



Points saillants et exemples du contenu des activités déclarées

Il est possible d’extraire du contenu des fiches d’activités des GAFAM et des entités effectuant de la représentation d’intérêts pour leur compte quelques points saillants et des exemples concrets permettant d’appréhender plus concrètement la représentation des intérêts des GAFAM.

D’une première part, l’étude des fiches d’activités démontre que chaque acteur a des sujets d’intérêt principaux, qu’il est souvent possible de relier à un contexte législatif précis.

Ainsi, les activités se sont principalement concentrées sur deux règlements européens adoptés en 2022 et dont l’applicabilité et la conformité ont été précisées dans le droit français en 2023. Le premier texte est le « Digital Markets Act » (DMA), qui vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen. Le second texte est le « Digital Services Act » (DSA) qui a pour objet la lutte contre les contenus illicites en ligne, la protection de la vie privée des utilisateurs et la lutte contre les fausses informations.

Ces deux textes ont été adaptés en France, notamment par la loi « visant à sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN), qui permet la mise en œuvre concrète des règlements et introduit des mesures supplémentaires, notamment en matière de cybersécurité, de protection des données personnelles et de lutte contre le cyberharcèlement. Les lois dites « REEN » et « Studer » font également peser des obligations supplémentaires sur les géants du numérique, respectivement en matière d’impact environnemental et de contrôle parental.

L’objectif poursuivi par les GAFAM a principalement consisté à défendre l’harmonisation des règles à l’échelle européenne en plaidant pour que la loi française n’introduise pas de contraintes supplémentaires qui pèseraient sur les entreprises. Google a par exemple publié 21 fiches d’activités relatives au projet de loi SREN en 2023, ce qui témoigne de la variété des enjeux introduits par ce projet de loi au niveau national.

Il sera souligné que ce projet de loi a vocation à conférer un rôle croissant aux autorités administratives indépendantes pour mettre en œuvre et faire respecter les règlements européens en France. Dans ce contexte, il est intéressant de noter que l’ARCOM, l’Autorité de la Concurrence ou encore l’ARCEP ont été visées directement par plusieurs actions de représentation d’intérêts de Google, Microsoft, Amazon et Facebook.

Outre ces thématiques « attendues », ces acteurs interviennent également sur des thématiques et des textes a priori éloignés de leur cœur d’activité. Google s’est ainsi mobilisée lors du processus législatif de la loi n° 2021-1539 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les humains ou encore sur la loi n° 2023-703 de programmation militaire.

Ces acteurs démontrent également leur capacité à jouer le rôle de partenaires des pouvoirs publics et à réagir rapidement à l’actualité, en particulier dans des contextes de crise. En 2023, Google mentionne par exemple une rencontre avec un responsable public visant à conserver « la capacité des plateformes à prendre des actions contre des contenus préjudiciables ou illégaux », en vue notamment « d’éviter les influences étrangères ». En 2020, Apple déclare avoir « présenté au ministère de la Santé des solutions afin de permettre aux résidents des EHPAD et aux patients hospitalisés de rester en contact avec leur famille pendant la pandémie », à la manière d’un acteur social qui complèterait voire supplanterait les acteurs publics dans l’accompagnement de la population – en l’espèce a fortiori, un public particulièrement vulnérable. Google déclare quant à elle « travailler avec les autorités pour diffuser auprès des utilisateurs les messages sanitaires » et même « se coordonner avec les autorités sur la nature et le contenu des messages diffusés aux Français ». Plusieurs fiches d’activités comportent par ailleurs la mention d’événements violents et non anticipés tels que la guerre en Ukraine, les émeutes en France ou encore les attaques du Hamas du 7 octobre 2023.

Les fiches d’activités témoignent aussi de la volonté de ces acteurs d’influer sur des enjeux de société profonds, susceptibles d’opérer des changements structurels importants dans différents champs. Au travers des fiches d’activités, on apprend par exemple qu’Apple « promeut l’utilité de politiques publiques ambitieuses en matière de numérique éducatif et l’usage de tablettes mobiles individuelles au service de l’éducation, de l’inclusion et de l’accessibilité ». En 2022, Google déclare « présenter ses propositions pour garantir le bon déroulement du processus démocratique et informer sur la tenue du vote » dans le cadre de l’élection présidentielle. Microsoft évoque quant à elle une opération de « sensibilisation aux enjeux éthiques de la reconnaissance faciale » ou encore une action de pédagogie pour « démontrer les effets positifs de l’intelligence artificielle » pour les industries culturelles.

Un des autres points saillants de la représentation d’intérêts des GAFAM réside dans leur capacité à se mobiliser sur des sujets hautement stratégiques. Amazon déclare par exemple « promouvoir une législation spatiale française et européenne ouverte ». Une entité représentant les intérêts de Facebook indique, quant à elle, rechercher des informations sur « l’état des négociations avec l’OCDE sur la fiscalité du numérique » ou encore sur le « programme numérique de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne ». Ces fiches d’activités révèlent que l’activité de représentation d’intérêts des GAFAM ne se limite pas à l’échelon national.

Enfin, malgré leur capacité à se positionner sur des enjeux internationaux, les GAFAM se mobilisent également sur des sujets d’échelon local. Une entité représentant les intérêts d’Amazon déclare par exemple avoir « organisé des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête sur les projets Smart City de la ville de Nice ».

 

Crédit photo Freepik @ijeab



haut de page
CE MOTEUR DE RECHERCHE NE PERMET PAS D'ACCÉDER AUX INFORMATIONS CONTENUES DANS LES DÉCLARATIONS DES RESPONSABLES PUBLICS OU DANS
LE RÉPERTOIRE DES REPRÉSENTANTS D'INTÉRÊTS.