La lettre internationale de la Haute Autorité – Octobre 2019
L’actualité internationale du mois d’octobre a été marquée par la multiplication des mouvements de contestations populaires à travers le monde, que ce soit au Chili, au Liban, en Irak, en Algérie, ou bien encore en Equateur. Malgré les différences nationales, les inégalités économiques et le rejet de la corruption forment le moteur commun de ces révoltes populaires.
Le besoin d’exemplarité des responsables publics se fait également sentir en Europe. A la suite du rejet de la candidature de la commissaire française, Sylvie Goulard, par le Parlement européen, la nécessité d’une instance indépendante en charge des questions éthiques pour toutes les institutions européennes, se fait de plus en plus pressante.
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
Le 11 octobre 2019, le Parlement européen a rejeté la candidature de la Française Sylvie Goulard au poste de commissaire en charge du marché intérieur, de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace. Les interrogations des élus ont porté notamment sur l’enquête en cours relative aux assistants fictifs des parlementaires du Modem, dans laquelle elle est impliquée. Mais aussi sur ses activités de conseil auprès de l’Institut Berggruen entre 2013 et 2016, en parallèle de son mandat de députée. (Contexte, 11 octobre 2019 ; The Financial Times, 10 octobre 2019)
Après ce revers, le président de la France, Emmanuel Macron, a proposé un nouveau candidat, Thierry Breton, ancien ministre de l’Economie et président directeur général du groupe informatique Atos. Face aux craintes de conflit d’intérêt, il a affirmé renoncer à ses actions Atos si sa nomination est confirmée par le Parlement européen. Une commission d’eurodéputés sera chargée d’étudier son dossier. S’il franchit cette étape, le candidat français sera alors auditionné par les élus européens sur le fond, notamment sur la politique qu’il compte mener à son poste. Le même processus est prévu pour les candidats roumain et hongrois dont les candidatures avaient aussi été rejetées. La nouvelle Commission d’Ursula von der Leyen doit prendre ses fonctions le 1er décembre. (Capital, 29 octobre 2019 ; Euronews, 29 octobre 2019)
Dans la continuité de ces événements, le groupe parlementaire européen Renaissance a proposé la création d’une « Haute Autorité de la transparence de la vie publique » (HATVP) au sein de l’Union européenne. Cette instance indépendante dédiée au respect des règles éthiques pour toutes les institutions européennes devrait renforcer la transparence et la confiance des citoyens dans l’Europe. Madame von der Leyen avait d’ailleurs déjà soutenu cette idée dans son programme. (La Croix, 21 octobre 2019)
Toujours en Europe, une cinquantaine d’ONG se sont mobilisées pour demander à l’Autorité bancaire européenne (ABE) de revoir la décision autorisant son directeur exécutif, Adam Farkas, à rejoindre le lobby bancaire AFME. Elles ont publié une déclaration commune qui plaide également pour que l’ABE modifie ses règles relatives au pantouflage, et soit plus transparente concernant ses relations avec les représentants d’intérêts du secteur financier. (Contexte, 23 octobre 2019)
Un nouveau rapport de l’OCDE dénonce les cas de fraude et de corruption dans l’utilisation des fonds d’investissements européens. Selon les estimations de l’étude, plus de 390 millions d’euros sont détournés de ces fonds chaque année. Le guide met notamment l’accent sur les mesures préventives qui pourraient éviter de tels détournements.
ZONES GÉOGRAPHIQUES
En Afrique du Sud, la famille Gupta, accusée d’avoir mis en place un important réseau de corruption et de détournements de fonds publics, se voit interdit toute activité avec des entreprises américaines et internationales ayant des filiales aux Etats-Unis. Le département du Trésor américain accuse les Gupta d’avoir conspiré avec Jacob Zuma pour obtenir des contrats gouvernementaux importants, en violation des règles en vigueur. (BBC Afrique, 11 octobre 2019 ; The Financial Times, 10 octobre 2019)
CONGO BRAZZAVILLE
Au Congo Brazzaville, l’ONG Global Witness expose des preuves de corruption à l’occasion de l’attribution de quatre permis pétroliers du géant italien ENI. Un représentant du président congolais Denis Sassou Nguesso aurait notamment dirigé un comité ayant attribué des parts importantes dans quatre permis pétroliers d’Eni à l’entreprise qu’il a fondé et qu’il dirigerait lui-même. (Global Witness, 10 octobre 2019)
Le 13 octobre 2019, les Tunisiens ont élu le constitutionnaliste, Kaïs Saïed, comme président de la République. Ce dernier professe un conservatisme socio-religieux, une révolution décentralisatrice et un souverainisme diplomatique. La réputation d’intégrité et de droiture morale de Kaïs Saïed, que même ses adversaires lui reconnaissent, a beaucoup joué en sa faveur à l’heure où la montée de la corruption exaspère la population. (Le Monde, 13 octobre 2019 ; Le Figaro, 10 octobre 2019)
LIBAN
Au Liban, le premier ministre, Saad Hariri, a démissionné le 29 octobre 2019, au treizième jour d’une révolte populaire sans précédent contre l’ensemble de la classe politique. L’annonce du départ de M. Hariri s’est traduite par des signes de détente dans les rues mais cette démission ouvre une ère d’incertitude politique et ne répond que partiellement à la demande des manifestants qui réclament des réformes en profondeur. Si une taxe sur les appels WhatsApp a mis le feu aux poudres, l’une des revendications des manifestants est la lutte contre la corruption. (Le Monde, 30 octobre 2019 ; Vox, 29 octobre 2019)
IRAK
En Irak, des manifestations inédites ont eu lieu depuis le début du mois d’octobre pour réclamer des emplois pour les jeunes, qui représentent 60% de la population, et des services fonctionnels à un Etat ravagé par la corruption. Au moins 220 personnes ont été tuées depuis le début de ce mouvement de contestation. (Le Huffpost, 27 octobre 2019 ; The New York Times, 30 octobre 2019)
ALGERIE
En Algérie, l’organisation de la présidentielle du 12 décembre, destinée à élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika, est lancée avec 22 candidats. Le peuple conteste cependant le processus électoral aux mains du pouvoir et a une nouvelle fois manifesté son rejet à travers des mobilisations importantes (« hirak ») le 25 octobre 2019. (Le Point, 28 octobre 2019 ; Aljazeera, 26 octobre 2019)
En Argentine, Alberto Fernandez et sa candidate à la vice-présidence, l’ex-présidente Cristina Fernandez de Kirchner, ont remporté l’élection présidentielle le 27 octobre 2019. Mme Kircher a fait l’objet de treize mises en examen. Les principales enquêtes la visant concernent des affaires de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite, notamment dans l’attribution de contrats de travaux publics dans la province de Santa Cruz, son fief de Patagonie. Elue sénatrice en octobre 2017, elle bénéficie d’une immunité parlementaire qui l’empêche d’être arrêtée. En tant que vice-présidente, il faudra les deux tiers des députés et des sénateurs pour lever cette immunité, une éventualité hautement improbable. (Le Monde, 25 octobre 2019 ; The Guardian, 28 octobre 2019)
CHILI
Le Chili traverse une grave crise sociale depuis le 18 octobre 2019. Les inégalités sociales, les coûts de santé et d’éducation élevés, ainsi que des scandales de corruption au sein de l’armée et de la police sont montrés comme les ingrédients de cette fracture sociale. D’abord provoqué par la hausse du coût de la vie dans le pays – et en particulier par l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago –, le mouvement s’est amplifié malgré la suspension de la mesure et un remaniement ministériel. La répression a été particulièrement notée dans un pays marqué par la violence de la dictature. Les affrontements ont fait au moins dix-huit morts. (Le Point, 22 octobre 2019 ; Bloomberg, 30 octobre 2019)
EQUATEUR
Avant le Chili, l’Equateur a également connu au mois d’octobre une explosion sociale déclenchée par l’augmentation subite du prix des carburants. Une partie de la population s’estime trahie par le virage néolibéral du président Lenín Moreno, qui avait promis de poursuivre la « révolution citoyenne » de son prédécesseur Rafael Correa. Sous la pression, le gouvernement a retiré son décret supprimant les subventions au carburant. (Le Monde diplomatique, novembre 2019 ; The New York Times, 13 octobre 2019)
ETATS-UNIS
Aux Etats-Unis, la chambre des représentants a proposé une loi le 22 octobre 2019 sur la transparence des entreprises qui obligerait celles-ci à divulguer leurs bénéficiaires effectifs lors de leur création. L’objectif serait de lutter contre l’utilisation de sociétés écrans et le blanchiment d’argent. La loi doit encore être adoptée par le Sénat. (ICIJ, 23 octobre 2019)
CANADA
Au Canada, Justin Trudeau a été réélu Premier ministre mais sans majorité. Son parti libéral a obtenu seulement 160 sièges sur les 338 en lice à la Chambre des communes. Les soupçons de corruption avec l’entreprise SNC-Lavalin ou les photos de lui grimé en « blackface » qui ont émaillé son premier mandat, ont considérablement affecté sa côte de popularité. (LCI, 22 octobre 2019 ; The Guardian, 22 octobre 2019)
En Corée du Sud, le patron de Samsung, le plus grand conglomérat coréen, est de nouveau jugé depuis le 25 octobre 2019 pour des faits de corruption qui lui avait valu une condamnation à cinq ans de prison en 2017. Jay Y. Lee, qui n’occupe officiellement que le poste de vice-président de Samsung Electronics mais règne en réalité sur l’ensemble du conglomérat contrôlé par sa famille, est rejugé dans une vaste affaire politico-économique qui avait révolté le pays en 2016 et entraîné la chute puis l’arrestation de la présidente conservatrice Park Geun-hye. (Les Echos, 25 octobre 2019 ; The Japan Times, 25 octobre 2019)
En Bulgarie, le conseil supérieur de la magistrature a élu le 24 octobre 2019 un nouveau procureur général, Ivan Guechev, sur fond de protestations mettant en cause l’indépendance du seul candidat au poste le plus élevé de la magistrature. Le procureur général, nommé pour sept ans, est l’une des figures les plus puissantes de Bulgarie. Il supervise le travail de tous les autres procureurs et a le dernier mot sur l’opportunité de lancer ou d’arrêter une enquête. Aucun dispositif ne permet d’engager sa responsabilité et cette absence de garde-fou a fait l’objet de critiques de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Commission européenne. (La Libre.be, 24 octobre 2019 ; ABC news, 25 octobre 2019)
ITALIE
En Italie, l’Agence Anticorruption (ANAC) a publié un rapport sur les affaires de corruption entre aout 2016 et aout 2019. La corruption reste «un phénomène profondément enraciné et persistant». En trois ans, il y a eu 117 arrestations pour corruption sur 152 affaires découvertes par l’ANAC, soit une par semaine. Ces arrestations ont touché 43 hommes politiques, dont 20 maires. Les trois quarts des affaires répertoriées, qui ne s’étendent pas au crime organisé de la Mafia, concernent l’attribution de marchés publics. Le reste touche aux procédures d’insolvabilité, permis de construire et obtention de dérogations dans les procédures administratives et judiciaires. (Le Figaro, 18 octobre 2019)
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