Par une lettre datée du 13 octobre 2015, le président de l’Assemblée nationale a demandé à la Haute Autorité de conduire une étude sur la pratique des « clubs parlementaires » et de formuler des propositions en vue d’assurer une meilleure transparence dans leur fonctionnement.

Il s’agit du premier travail d’ensemble conduit sur les clubs parlementaires, qui a permis d’en recenser plus de 40. Le rapport dresse un état des lieux de leur fonctionnement et des règles qui leur sont appliquées et formule 10 propositions pour encadrer leur activité.

L’état des lieux

_ Une notion caractérisée par son hétérogénéité

Si les « clubs parlementaires » ont pour caractéristique commune de réunir parlementaires et acteurs privés, le cas échant par l’entremise de sociétés de relations publiques, à des fins de représentation d’intérêts, c’est l’hétérogénéité qui prévaut lorsqu’il s’agit de les définir plus précisément. La notion de « club parlementaire » n’a d’ailleurs pas d’existence juridique. Il n’existe aucune définition de cette notion, ni dans la loi, ni dans les règlements des assemblées. Le développement des clubs s’est d’ailleurs fait de façon empirique, il y a une vingtaine d’années.

Au-delà de leurs volonté de faire interagir parlementaires et représentants d’intérêt sur un thème donné, les « clubs parlementaires » sont marqués par d’importantes disparités. En ce qui concerne leur statut juridique d’abord, certains d’entre eux choisissent de se constituer sous une forme associative et sont donc régis par la loi du 1er juillet 1901. Cependant, seuls 15% des clubs recensés par la Haute Autorité ont opté pour ce statut. La plupart des clubs ne connait aucune formalisation juridique. Il s’agit alors uniquement de structures informelles, dont il n’existe pas de membres officiels et qui peuvent être créées et dissoutes sans aucune contrainte. Les dénominations sont également variables. Quoi qu’il en soit l’utilisation du terme « parlementaire » pour qualifier des structures totalement indépendantes du Parlement est de nature à entretenir à une confusion et un soupçon de « mélange des genres » entre intérêt général et intérêts privés. Cependant, en dépit de leur diversité, les « clubs parlementaires » poursuivent tous une même finalité de lobbying, organisant des activités globalement similaires : déplacements, déjeuners, dîners, colloques ou aux abords des assemblées ou parfois même en leur sein.

S’il convient de rappeler que la liberté d’association est garantie aux députés et sénateurs comme à tout citoyen, il semble néanmoins que l’encadrement actuel des « clubs parlementaires » reste limité. Les règles les plus précises concernent très certainement les parlementaires. En effet, depuis le début des années 2010, des règles déontologiques en nombre croissant ont encadré leur activité. Les députés et sénateurs sont notamment astreints au respect de règles déontologiques et de certaines obligations déclaratives. Mais ces dernières règles ne visent pas nommément les « clubs parlementaires ». En outre, des registres des représentants d’intérêts progressivement créés et renforcés par les deux assemblées ont été conçus sur une base facultative. Ils ne comportent donc que des règles incitatives, leur violation ne pouvant faire l’objet que d’une radiation du registre. Cette carence et le flou de la réglementation applicable ont été dénoncés par de nombreux parlementaires et professionnels rencontrés.

_ Les divers modes d’administration des « clubs parlementaires »

Les représentants d’intérêts constituent la force motrice de ces clubs. Leur rôle est toutefois variable d’un club à l’autre. Ainsi, deux grandes catégories de clubs peuvent être distinguées :

Les clubs directement gérés par un représentant d’intérêt, pour son propre compte : Il s’agit d’un modèle sans intermédiaire dans lequel une ou plusieurs entreprise(s), association(s) ou fédération(s) professionnelle(s) organise(nt) elle(s)-même(s) un club à destination des parlementaires.

Les clubs dont la gestion est confiée à une société de relations publiques : Du fait de sa petite taille ou pour professionnaliser sa pratique, un représentant d’intérêts peut également souhaiter déléguer sa représentation d’intérêts auprès des parlementaires à un cabinet de relations publiques, moyennant une cotisation acquittée ponctuellement ou annuellement. Le rôle de ce dernier est alors d’identifier les parlementaires potentiellement intéressés et de proposer l’organisation de manifestations à leur destination.

Les recommandations du rapport

Les recommandations formulées par le rapport, qu’elles soient de nature législative ou règlementaire, s’adressent aux trois principaux protagonistes des clubs : les représentants d’intérêts et les sociétés de relations publiques qui gèrent ces clubs, les députés et sénateurs qui y participent, et le Parlement dont les moyens peuvent être employés, notamment par les parlementaires qui président ou participent à des clubs.

1. Propositions concernant les organisateurs de « clubs »

_ Proposition n° 1 : pour assurer la transparence des « clubs parlementaires », transformer les registres existants dans les assemblées en un registre des représentants d’intérêts obligatoire et commun au Gouvernement et au Parlement. Cette création pourrait s’accompagner : de l’obligation d’assortir le défaut d’inscription au registre de sanctions administratives et de la définition des rubriques à renseigner et des modalités d’inscription en ligne des représentants d’intérêts assortie d’un contrôle ex post.

Parlementaires et représentants d’intérêts ont souligné les limites du dispositif actuel des registres des assemblées du fait du caractère non obligatoire de l’inscription à ce registre d’intérêts et de l’absence corrélative de réelle sanction pour les non-inscrits.

L’existence d’un registre commun pour les assemblées parlementaires et de l’exécutif renforcerait fortement l’attractivité d’une telle inscription. Elle serait par ailleurs plus simple pour les sociétés pour lesquelles l’inscription à plusieurs registres multiplie les contraintes, sans gain réel en termes de transparence. Quant aux sanctions dont il conviendrait d’assortir l’absence d’inscription au registre, elles pourraient être de nature administrative et être le cas échéant infligées par l’autorité administrative indépendante qui serait chargée de tenir le registre comme le prévoit aujourd’hui la législation irlandaise.

Ces principes sont précisément ceux qui ont été retenus lors des réflexions engagées dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la corruption et la transparence de la vie économique. Dans ce contexte, il semble opportun de prévoir que la création du répertoire numérique des représentants d’intérêts telle qu’elle est envisagée par ce projet de loi puisse inclure les représentants d’intérêts entrant en communication avec les parlementaires.

_ Proposition n° 2 : établir des obligations déontologiques pour tout représentant d’intérêts inscrit au registre. Ces règles pourraient : interdire aux représentants d’intérêts d’utiliser le terme de « parlementaire » pour qualifier les structures qu’ils créent, qu’elles soient ou non qualifiées de « clubs » ; interdire aux représentants d’intérêts de faire usage du logo des assemblées et du titre de parlementaire dans leurs manifestations et leur documentation ; interdire dans les locaux des assemblées ou dans les locaux qui en dépendent des événements liés à la promotion d’intérêts, notamment la réunion de « clubs parlementaires » ; interdire l’organisation de manifestation autour de parlementaires durant lesquelles la prise de parole est corrélée à une participation financière.

L’ensemble des représentants d’intérêts ainsi inscrits sur le registre unique devraient alors être astreints au respect d’un certain nombre d’obligations déontologiques et notamment d’obligations ayant trait au fonctionnement des « clubs parlementaires ». S’agissant du contenu de ces obligations, un consensus semble se dessiner parmi les parlementaires mais aussi auprès d’un certain nombre de représentants d’intérêts pour proscrire tous les éléments qui peuvent suggérer une confusion entre l’activité de la représentation nationale et les activités des représentants d’intérêts incluant des parlementaires.

_ Proposition n° 3 : créer une obligation, pour les représentants inscrits au registre, de rendre compte de leurs activités de lobbying impliquant des parlementaires. Cela pourrait prendre la forme : d’une obligation de mention par les représentants d’intérêts des clubs et des manifestations récurrentes qu’ils organisent lors de leur inscription au registre ; d’une obligation de déclaration a posteriori soit uniquement des manifestations collectives organisées et incluant des parlementaires, soit de l’ensemble des rencontres avec un ou plusieurs parlementaires.

L’objet de la création d’un registre obligatoire des représentants d’intérêts est, dans certains systèmes étrangers, d’interdire tout contact entre les parlementaires et des représentants d’intérêts qui ne seraient pas inscrits sur cette liste. Une telle option paraît difficilement conciliable avec la conception française du rôle de la représentation nationale et de l’indépendance attachée à ces fonctions. En revanche, semble compatible avec cette conception l’idée de transparence et de suivi régulier des rencontres entre parlementaires et représentants d’intérêts, notamment lorsqu’elles sont, comme dans le cadre de clubs ou de colloques, collectives.

_ Proposition n° 4 : créer une obligation, pour les représentants d’intérêts inscrits au registre, d’informer les parlementaires à l’occasion des démarches effectuées auprès d’eux en : faisant figurer, dans toutes communications avec les parlementaires, les entreprises finançant les manifestations organisées par les représentants d’intérêts (invitation, programme, affiche à l’entrée du colloque…) ; informant systématiquement les parlementaires de la valeur des invitations qui leurs sont adressées.

Peut paraître problématique la pratique constatée consistant à adresser à des parlementaires une invitation au nom d’autres parlementaires à un événement sur un thème présenté comme général ayant lieu dans les locaux de l’assemblée en cause sans qu’à aucun moment n’apparaisse le nom des entreprises au profit desquelles l’événement est organisé. De même, il peut arriver que les représentants d’intérêts sollicitent des parlementaires pour l’organisation de manifestations, sans indiquer le nom des entreprises susceptibles d’y participer ni leurs financeurs, ni le montant des sommes engagées.

2. Propositions concernant les parlementaires membres de « clubs »

_ Proposition n° 5 : rappeler que les fonctions de président, vice-président, co-président, et trésorier, ainsi que toute autre fonction dirigeante au sein d’un club parlementaire, doivent figurer sur la déclaration d’intérêts et d’activités en application de l’article L.O. 135-1 du code électoral.

Les parlementaires sont tenus d’adresser au Président de la Haute Autorité, à chaque début de mandat, une déclaration des intérêts qu’ils détiennent à la date de leur élection et dans les cinq années précédentes, ainsi que de leurs activités professionnelles ou d’intérêt général même non rémunérées. Cette déclaration fait ensuite l’objet d’une publication sur le site de la Haute Autorité.

Les rubriques 4° et le 7° du formulaire de cette déclaration prévoient respectivement la déclaration des informations suivantes : « les participations aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de l’élection et au cours des cinq dernières années » et « les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ». Ces deux rubriques et plus particulièrement la seconde, recouvrent les hypothèses de fonctions dirigeantes au sein d’un « club parlementaire ».

_ Proposition n° 6 : rappeler l’obligation, pour les parlementaires, de déclarer tous avantages et invitations provenant de représentants d’intérêts reçus par les parlementaires dans le cadre de leurs fonctions d’une valeur supérieure à 150 euros ; publier ces déclarations sur le site de l’assemblée concernée.

Il existe d’ores et déjà pour les parlementaires une obligation de déclarer les dons, avantages, cadeaux et voyages offerts par des tiers supérieurs à une valeur de 150 euros. Ces déclarations ne sont pas rendues publiques lorsqu’elles concernent les députés. Dans leurs rapports respectifs de 2013 et 2015, les déontologues de l’Assemblée nationale ont fait connaître le nombre de déclarations qu’ils avaient reçues au cours des années écoulées : elles se sont élevées pour les dons, cadeaux et avantages à 12, d’octobre 2012 à octobre 2013 et à 19 pour la période allant d’avril 2014 à juin 2015, dont 8 émanaient du même député et 9 correspondaient à des événements sportifs ou culturels. Ces chiffres sont particulièrement modestes, comparé au nombre de députés. Afin d’accroitre la transparence sur les activités des clubs parlementaires, il est proposé de rendre publiques ces déclarations.

3. Propositions concernant le Parlement

_ Proposition n° 7 : interdire la réunion de groupes d’intérêts privés, et notamment des « clubs parlementaires », dans l’enceinte du Parlement.

Certains « clubs parlementaires » présidés par un parlementaire, ont pris pour habitude de réserver une salle d’une des deux assemblées pour accueillir certaines de leurs réunions. L’association Avenir Transports, au demeurant domiciliée à l’Assemblée nationale, organise régulièrement des réunions dans ses locaux. À l’inverse, le Sénat a totalement interdit la tenue, dans ses locaux, de réunions s’inscrivant dans une démarche commerciale ou lucrative, et en particulier les réunions organisées par des représentants d’intérêts, position confirmée par le Comité de déontologie parlementaire du Sénat dans son avis portant sur les « clubs parlementaires ». En outre, certains représentants d’intérêts s’interdisent d’ores et déjà d’organiser de tels événements au sein des assemblées, ce qui peut les mettre en difficulté par rapport à ceux qui y ont toujours recours et qui bénéficient ainsi du caractère attractif de réunions organisées dans l’enceinte parlementaire pour démarcher des clients.

_ Proposition n° 8 : interdire la domiciliation dans les assemblées des « clubs parlementaires » et, plus largement, des organismes qui représentent des intérêts privés.

Sur décision des questeurs, une association peut se voir accorder le droit de se domicilier dans les locaux de l’assemblée parlementaire concernée. Ce droit a été accordé à plusieurs catégories d’organisations, dont au moins cinq « clubs parlementaires ». Le fait de posséder une adresse (et parfois un numéro de téléphone) au sein du Parlement induit naturellement la croyance que l’organe en cause peut être un organe officiel, même si cette autorisation de domiciliation ne s’accompagne d’aucune forme de soutien financier de la part de l’assemblée concernée. Cette possible confusion est renforcée par la présence en son sein de parlementaires.

_ Proposition n° 9 : rappeler les règles de gestion des moyens mis à la disposition des parlementaires pour assurer qu’ils ne sont pas utilisés à d’autres fins, notamment en ce qui concerne les facilités d’affranchissement et l’utilisation du logo et du papier à entête de l’Assemblée et du Sénat.

Les parlementaires bénéficient de la gratuité de l’affranchissement des correspondances liées à l’accomplissement de leur mandat parlementaire quand elles sont effectuées depuis le siège des assemblées. Or il n’est pas exclu que certains présidents de « club parlementaire » puissent faire bénéficier ce dernier de ces facilités d’affranchissement. Le secret des correspondances limite les possibilités de contrôle par les services des assemblées, qui existent au-dessus de 100 envois identiques au Sénat et de 400 envois identiques à l’Assemblée nationale. Il en va de même s’agissant de l’utilisation des enveloppes au logo de l’Assemblée nationale ou du Sénat et du papier à entête, qui ne doit pas pouvoir être employé dans le cadre de la présidence d’un organisme extérieur au Parlement. Certains parlementaires qui président des « clubs parlementaires » invitent leurs collègues à des réunions de ce dernier sur papier à entête de leur assemblée, ce qui est de nature à induire en erreur les personnes invitées quant au caractère officiel de la manifestation, d’autant plus si elle se tient dans l’enceinte parlementaire.

_ Proposition n° 10 : engager une réflexion, en prévision de la XVe législature, sur le nombre et les moyens des groupes d’études ainsi que sur les possibilités d’accroître le nombre de manifestations organisées par les assemblées.

Les groupes d’études sont des organes internes aux assemblées, qui ont pour but de réunir, autour d’une thématique déterminée, les parlementaires intéressés, quelle que soit leur sensibilité politique. Leur activité consiste principalement en des auditions des acteurs concernés ou en des déplacements. Il n’appartient pas à la Haute Autorité de se prononcer sur les règles de constitution et de fonctionnement des groupes d’études. Toutefois, au regard de la mission qui lui a été confiée, elle relève que l’intérêt des parlementaires pour les « clubs parlementaires » traduit leur volonté de rencontrer et de dialoguer avec les acteurs de la société civile. Or, il appartient en premier chef au Parlement d’être ce lieu de débat. Une meilleure politique de création des groupes d’études, qui pourrait s’inscrire dans la volonté d’en réduire fortement le nombre qui avait été initiée au début de la XIVe législature à l’Assemblée nationale, ainsi que la possibilité qui leur serait donnée d’organiser, à chaque législature, un colloque dans les murs de l’Assemblée nationale serait de nature à permettre aux parlementaires de retrouver la pleine initiative de ces rencontres, pour des coûts limités.

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