Déontologie : peut-on étendre la prévention des conflits d’intérêts à tous les fonctionnaires ?
La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires étend aux collaborateurs de cabinet des élus locaux l’obligation de déclarer leurs intérêts à la Haute Autorité. Elle prévoit également que les candidats à certains emplois à hautes responsabilités déclarent leurs intérêts avant leur nomination.
Si ce mécanisme ne vise pas l’ensemble des agents publics, se pose la question de savoir si un chef de service est compétent pour étendre aux agents de son service une obligation de déclarer leurs intérêts une fois nommés à leur emploi.
Les précédents sont rares en la matière. S’il existe d’autres mécanismes de déclaration d’intérêts que ceux prévus par les lois de 2013, ceux-ci reposent généralement sur une base légale ou règlementaire. C’est notamment le cas des « déclarations publiques d’intérêts » des acteurs du secteur de la santé instaurées par loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
La mise en place d’un tel dispositif poserait des difficultés de nature constitutionnelle et conventionnelle liées au respect de la vie privée et devrait, en conséquence, se concentrer sur les intérêts en lien direct avec les missions confiées à l’agent.
Les risques liés au respect de la vie privée
En premier lieu, aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Si ce droit n’est pas intangible et peut donc être limité, il ne peut « y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à (…) la prévention des infractions pénales ». Sur ces fondements, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà constaté des violations de l’article 8, par exemple lorsque des informations médicales d’un salarié étaient communiquées à son employeur sans fondement légal ou réglementaire.
En second lieu, le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 2 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 constitue une liberté fondamentale. Aussi, dans sa décision portant sur les lois de 2013, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif de déclaration d’intérêts et leur publicité portaient « atteinte au respect de la vie privée » et que, pour être conformes à la Constitution, ces atteintes devaient « être justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Il a également rappelé qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, « les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État » sont fixées par la loi.
Enfin, la loi prévoit certaines règles statutaires protégeant les fonctionnaires d’une trop grande ingérence de l’administration dans leur vie privée :
- le dossier d’un fonctionnaire ne doit comporter aucune mention liée à ses opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques ;
- ils peuvent librement détenir des parts sociales et percevoir les bénéfices qui s’y attachent. Ils gèrent librement leur patrimoine personnel ou familial.
Compte tenu de ces éléments, il semble particulièrement inadapté, pour un chef de service, d’exiger de ses agents qu’ils remplissent les déclarations d’intérêts prévues par les lois de 2013.
L’instauration d’un mécanisme adapté
Si un dispositif généralisé de déclaration d’intérêts paraît exclu, rien ne semble toutefois empêcher un chef de service d’instaurer un mécanisme ciblé, afin de prévenir tout risque pénal ou déontologique auxquels les agents de son service pourraient être soumis.
En effet, tous agents publics, doivent veiller, en application des lois de 2013, « à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ». Pour mieux prévenir ces situations, un chef de service pourrait demander à ses agents d’indiquer les seuls intérêts qu’ils détiennent et qui sont susceptibles d’interférer avec les fonctions qu’ils exercent et, partant, de les placer en situation de conflit d’intérêts.
Il ne s’agirait donc pas à proprement parler d’une déclaration d’intérêts, dans laquelle les agents devraient faire figurer tous les intérêts qu’ils détiennent quelle que soit leur pertinence pour prévenir une situation de conflit d’intérêts. Les éléments demandés devraient être strictement limités à ceux « nécessaires à la prévention des conflits d’intérêts ». Ils devraient notamment se décliner au sein de chaque service en tenant compte du statut particulier de chaque agent et de ses missions.
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